01 novembre 2012
Le traducteur traduit (3) « J'ai sous-titré un film muet »
Rappelons que cette rubrique a pour but de décrypter et de traduire le langage du traducteur, plutôt moins jargonnant que celui d’autres professions mais parfois curieux tout de même.
En l’occurrence, le traducteur est une copine-traductrice-adaptatrice de l’audiovisuel, avec qui j’ai eu la joie de papoter il y a quelques jours lors d'une grand-messe un meeting un jamboree un raout de congénères une réunion publique d'information de l'ATAA. Une tierce consœur s’enquérant de ce qu’elle faisait en ce moment, Caroline (Barzilaï) lui répond :
« Là, je viens de sous-titrer un film muet. »
Après un temps éclair de perplexité réflexion, car il faut reconnaître que sur l’instant, ça peut surprendre, je me mets à la place de l’auditeur profane dont les oreilles auraient pu traîner dans le coin. Je l’entends ricaner d’ici : « Tranquille, ce taf, ça doit pas être fatigant - j’espère que c’est bien payé de traduire un truc qui parle pas. » (Désolée, j’ai chopé au hasard un auditeur profane moyennement évolué. Imaginaire, le gus, mais pas idéalisé.)
Explication de texte : Caroline a sous-titré les cartons (ou intertitres) d’un film de Murnau, Schloss Vogelöd (La Découverte d'un secret).
© ?
Exemple de sous-titre de carton :
234: 11:11:45.14 11:11:49.14 4:00 6.04 56 67 60
_"Enchaînés l'un à l'autre
_par les liens de la culpabilité !
En fait, Schloss Vogelöd est plutôt bavard pour un film muet car, nous précise Caroline, il comporte environ 200 intertitres. Tiens, on ne l’entend plus, l'auditeur profane…
23:48 Publié dans Le traducteur traduit | Commentaires (2) | Lien permanent
31 octobre 2012
Le vieux qui...
... ne voulait pas fêter son anniversaire.
Dans ce livre, les chapitres qui racontent l’équipée sauvage d’un centenaire rebelle et d’un ramassis de personnages aussi loufoques que lui alternent avec d’autres, qui relatent cent ans de farce historique et planétaire, au gré des tribulations du héros. Rien que pour les deux extraits suivants, je trouve qu’il vaut le détour. Mais peut-être vous et moi ne rions-nous pas des mêmes choses (test : si la couverture du bouquin vous laisse de marbre, c'est mal parti) :
Page 77
Alan trouvait incompréhensible que les gens aient eu envie de s'entretuer au XVIIe siècle. S'ils avaient patienté un peu, ils seraient morts de toute manière.
Page 445
— Tu as traversé l'Himalaya, toi ? À cent ans ?
— Non, je ne suis pas fou, quand même. Vous savez, monsieur le procureur, je n'ai pas toujours eu cent ans. C'est même assez récent.
En plus, ce bouquin désopilant contient un passage où apparaît un interprète, en pages 397-398 :
La garde rapprochée du président avait fait preuve d'un zèle particulier en contrôlant l'interprète barbu et chevelu de Madame l'ambassadeur d'Indonésie. Mais ses papiers étaient en règle et il n'était pas armé. En outre, l'ambassadeur – une femme ! – se portait garant de lui. Le barbu eut donc sa place à table lui aussi, entre un très décoratif interprète américain et le jeune traducteur français qui était sa copie conforme.
Ce fut le barbu indonésien qui eut le plus de travail. Les présidents Johnson et de Gaulle posaient des questions à l'ambassadrice au lieu de se parler mutuellement.
Le président de Gaule commença par demander à Amanda Einstein quel avait été son parcours professionnel. Amanda répondit qu'en fait, elle était totalement stupide et qu'elle était devenue gouverneur de Bali en versant des pots-de-vin, après quoi elle avait gagné les élections deux fois de suite en graissant la patte aux uns et aux autres. Elle raconta qu'elle avait bien profité des avantages du job avec toute sa famille pendant toutes ces années, jusqu'à ce que le nouveau président Suharto l’appelle tout à coup pour lui proposer le poste d'ambassadeur d'Indonésie à Paris.
– Je ne le savais même pas où se trouvait Paris et je croyais que c'était un pays et pas une ville ! s'exclama Amanda Einstein en riant.
Elle avait dit tout cela dans sa langue natale et l'interprète barbu et très chevelu avait traduit en anglais. Il avait fait bien attention, évidemment, de presque tout censurer au passage.
Quand le déjeuner se termina, les deux présidents étaient enfin d'accord sur un point. Tout deux trouvaient l'ambassadeur Amanda Einstein à la fois amusante, cultivée, intéressante et intelligente, bien qu'elle manquât de goût pour choisir ses interprètes, car celui-là avait vraiment l'air d'un sauvage.
Jonas Jonasson
Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire
Traduit (avec talent et ce n'est pas du copinage car je ne connais pas cette dame) du suédois par Caroline Berg
Éditions Presse de la Cité
Pocket - 2011
Photo
© T. Archibald / Getty Images
Couverture : Stanislas Zygart
Merci à Sylvia qui me l'a offert.
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Oui, on peut estimer qu'une traduction du suédois est bonne, même si on ne parle pas suédois.
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Hé hé, pendant tout le livre, je me suis dit que ça ferait un scénario d'enfer, à condition d'y mettre le prix (ou de faire l'impasse sur la moitié des chapitres). Et je vois maintenant que le roman va être adapté au cinéma. Espérons que le résultat sera réussi.
28 octobre 2012
Mots de travers (12) - Pingouin
¡Che!
Ça m’énerve de voir encore aujourd’hui, à la télé, des documentaires mal traduits de l’anglais au français, dans lesquels on nous présente, mes congénères et moi, sous l’appellation de « pingouins ».
C’est pourquoi je prends la plume (façon de parler, et d’autant plus sur un blog) pour vous expliquer qu'on n'est pas des pingouins mais des manchots. Voilà ma photo :
© Ernesto Eduardo Martino
On a tous un uniforme assez proche. Donc, avec ça, vous devriez dorénavant nous reconnaître. Pour plus de réalisme, la tenancière de ce blog a failli mettre la photo la tête en bas. Ben oui, on habite tous*** dans l’hémisphère sud. Dans des contrées plutôt froides (paradoxalement, en Terre de Feu, en ce qui me concerne). On s’y est bien adaptés vu qu'on n’en décolle pas. Pas le choix, à vrai dire, puisqu’on ne sait pas voler.
Passons au pingouin, maintenant. Lui, il vit plutôt vers chez vous, de l’autre côté de la planète. Et il vole :
Désolé pour la qualité du dessin, collègue. Vous me croyez, maintenant, quand je vous dis que je suis manchot ?
***En fait, il existe des exceptions. Certains de mes frères se sont installés bon gré mal gré dans votre hémisphère. J’ignore s’ils donnent tous dans les fantaisies vestimentaires, comme celui-ci, adepte d'un joli bleu Michou :
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La direction de ce blog décline toute responsabilité en cas d'investissement de ces lieux par des espèces animales pas forcément bien embouchées, prêtes à tout (et à n'importe quoi) pour affirmer leur identité se faire remarquer, et qui pis est, considérant le Lecteur comme un consommateur forcené de docus traduits par des pignou... euh... des manch... euh, enfin, mal traduits, quoi.
19:08 Publié dans La chronique de Vocale Hubert, Mots de travers | Commentaires (0) | Lien permanent
24 octobre 2012
Mots (mieux) appris (18) - Baderne
En bonne Marie-Marie, j’associais automatiquement le mot « baderne » à l’inspecteur Pinaud, alias le Débris, alias Baberne-Baderne, bref le pitoyable et miteux acolyte de San Antonio, en plus du monumental Bérurier.
J’ignorais que dans le Robert, une (vieille) baderne était un « homme (souvent militaire) âgé et borné ». Je pensais qu’une (vieille) baderne était une chose sans valeur et, à l’origine, un bout de ficelle râpé jusqu'à la corde très usagé.
En fait et plus exactement, une baderne (pas tellement vieille, en l’occurrence),
c’est ça :
Expo PHARES***, musée de la Marine, Paris
Celle-ci est l’œuvre d’un gardien de phare, qui s’occupait**** à fabriquer ce type d'objet. Les badernes servaient à éviter les frottements entre certains éléments d’un bateau.
J'ai aussi appris à cette occasion qu'on distingue les phares à éclats (temps de lumière inférieur au temps d'obscurité) des phares à occultation (l'inverse). Et qu'ils se caractérisent chacun par une séquence de temps de lumière/temps d'obscurité particulière ! Ça vous en bouche un coin illumine la soirée, hein ?
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***Certes, pour une fois, je vous informe d'une expo intéressante avant qu'elle prenne fin. Mais ne vous faites pas d'illusions, vous ne pourrez la voir tellement il y aura la queue.
****Ne comptez pas sur moi pour employer l'expression « tuer le temps », bien qu'un gardien de phare ait des circonstances atténuantes pour commettre pareil crime.
22:10 Publié dans Expos, La chronique de Vocale Hubert | Commentaires (4) | Lien permanent
21 octobre 2012
Les cacarinettes débarquent en masse à Paris !
Autre titre : Elle voit des cacarinettes partout
Je ne sais si le service des Jardins de la Ville de Paris a encore organisé un lâcher – peu probable, vu la saison, et aussi parce qu’elles sont de types différents –, ou si elles sont venues toutes seules. Quoi qu'il en soit, je ne peux me mettre à ma fenêtre ces jours-ci sans en voir atterrir deux ou trois sur le rebord. Elles sont bien plus nombreuses que d'habitude à la belle saison. Sans compter les papillons, depuis le redoux.
Hem. Je recommence.
Eh zut. Je re-recommence.
Là, c'est mieux.
Hop, deux d'un coup.
Reviens par ici, tu me donnes le vertige.
Des bêtes à Bon Dieu, il y en a de toutes les couleurs.
Jouez à indiquer ici comment on dit « cacarinette » dans les langues que vous connaissez. Ou bien envoyez-moi un message, je compléterai la liste pour vous. Merci !
Qu'est-ce qu'on gagne ? Un point. Ou plusieurs, même. De chaque côté.
21:55 Publié dans La chronique de Vocale Hubert | Commentaires (6) | Lien permanent
20 octobre 2012
Lettre à un resté
Cher Téléspectateur du service public, cher alter ego audiovisuel,
J’ai le regret de te dire que tu es un resté.
En choisissant de regarder un documentaire plutôt qu’une autre émission, tu espères t’instruire et te divertir à la fois. Tu penses que les chaînes qui portent le nom de ton pays, suivi d’un numéro, sont immanquablement fidèles à une réputation d’excellence. Friand de nature, de techniques ou d’histoire, tu crois que tu vas pouvoir approfondir tes connaissances dans ces domaines et dans d'autres, t’étonner, t’émerveiller face à des images soutenues par un commentaire de haut niveau, qui fera honneur à ta belle langue.
Ben non. Enfin, pas toujours. Pourquoi ? Parce que certains des intermédiaires situés entre les auteurs de documentaires et toi – je veux dire au sein des chaînes de service public ou chez leurs prestataires – ont décrété que tu n’avais que des aptitudes et un vocabulaire limités.
Par exemple, supposons que le documentaire que tu as choisi de regarder ce soir vienne de l’étranger. Il a été traduit. Enfin… « adapté ». Le malheureux individu chargé d'adapter le commentaire en français s’est vu intimer l’ordre de niveler toute originalité dans le style de l’auteur. En outre, à coups d’instructions aussi péremptoires que nébuleuses (et contradictoires, car les donneurs d'ordre n'ont manifestement pas vu le documentaire), on lui a fait comprendre que tu n’étais pas censé avoir plus de cent mots à ta disposition. Par exemple, il sait d’avance que s’il écrit « demeurer », l’un des intermédiaires évoqués plus haut va aussi sec le remplacer par « rester ». (À croire que le bougre de traducteur le fait exprès, juste pour voir si ses prévisions se confirment.) Car « demeurer », c’est d’un niveau inaccessible pour toi. Et puis, trois syllabes, c’est trop long pour ta comprenette.
Tout est à l’avenant. Les notions scientifiques ou techniques contenues dans le film sont nivelées elles aussi par les brillants esprits qui se chargent de réviser la copie du bougre. Au point que le malheureux traducteur, en regardant le documentaire à la télé, comme toi, reconnaîtra parfois à peine le texte qu’il signe au générique. Et que l’auteur du documentaire, s’il voyait cela lui aussi et comprenait le français, ne reconnaîtrait pas son bébé. Qu'y pourrait-il ? Sans doute pas grand-chose, depuis son pays.
Dans le numéro 40 d’Astérisque, La Lettre de la Scam, Geneviève Guicheney, journaliste, signait un article intitulé J’aimerais tant que le service public… Médiatrice du Groupe France Télévisions de 1998 à 2004, elle y évoquait ce rôle et terminait par ceci : « La plainte majuscule des téléspectateurs exprimée à longueur de courriers se résume à une phrase : “Vous nous prenez pour des imbéciles”. En cela au moins la télévision n’échappe pas à son époque. »
Merci à elle et à la toujours précieuse Scam (Société civile des auteurs multimédia). Si elles et les téléspectateurs pouvaient être entendus !
« Le documentaire n'est pas un sujet, mais une œuvre
qui marie une connaissance ou une expérience à une vision. »
Extrait du Manifeste pour le Documentaire, publié en 2012
par France Télévisions et cité par Jean-Xavier de Lestrade,
président de la Scam, dans l'éditorial du n° 42 d'Astérisque.
00:57 Publié dans À travers mots, Je traduis, tu traduis... | Commentaires (1) | Lien permanent