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06 septembre 2015

Conseils à un Jeune Traducteur Inexpérimenté (15) - Salariat déguisé ? Et déguisé en quoi ?

Cher Jeune Traducteur Inexpérimenté, cher Informaticien persuadé d'avoir fait le bon choix en devenant prestataire de la boîte de services dont tu étais jusque alors salarié, cher Particulier qui voudrait avoir tous les avantages (?) du boulot de taxi sans te plier aux obligations qu'il suppose, cher Auxiliaire des services publics qui ne parvient toujours pas à obtenir une fiche de paie pour une rémunération tellement misérable que tu ne vas tout de même pas cotiser en indépendant là-dessus, à moins de rêver d'être sous-smicard, cher Lecteur pas nécessairement jeune ni traducteur ni inexpérimenté mais passant par là, avec toi aussi un baluchon de questions existentielles sans réponses,

« Travailleur indépendant, n'ayant qu'un seul client, ne suis-je pas tout simplement salarié de cette entreprise ? », te demandes-tu.

Tu trouveras à ce sujet des explications claires à 41' de l'émission On n'arrête pas l'éco d'Alexandra Bensaid, diffusée le samedi 5 septembre 2015 sur France Inter. Dans sa chronique Ma vie au boulot !, Sandrine Foulon répond en 3 minutes à la question ci-dessus, posée par un auditeur internaute.

20 août 2015

Conseils à un Jeune Traducteur Inexpérimenté (14) - Études et chiffres en tout genre

Résumé pour lecteur pressé et pas regardant sur l'exactitude :
le traducteur-auteur, qui est à la fois un libéral déclarant ses revenus en BNC et un salarié (à 64 % de son effectif), représente avec ses 1 070 congénères 41 % des professionnels indépendants de l'édition et obtient, dans le cas minoritaire où il est de sexe masculin, des tarifs de 35 % supérieurs à ceux de ses consœurs.

 

Cher Petit Ami explorant l'univers des chiffres, ces signes curieux ornant le haut de ton clavier, Cher Jeune Collègue désireux de mieux connaître et de mieux faire connaître ta noble profession, statistiques à l'appui, Cher Jeune Camarade Littéraire affichant un mépris certain pour les chiffres sauf sous forme de droits d'auteur, Cher Jeune Traducteur Inexpérimenté,

Tu as eu la joie de découvrir récemment que nos institutions publiques s'intéressaient à toi. Ou plus précisément, qu'elles étudiaient ton métier si méconnu, parmi d'autres, et publiaient le résultat de leurs investigations. C'est méritoire. Enfin, des faits et même des chiffres ! Voilà qui devrait dissiper certaines idées reçues.

Épluchons les 156 pages de la première de ces études, consacrée par l'Insee à l'emploi et aux revenus des indépendants. Ô joie ! Page 60, elle réserve un encadré aux professions du secteur culturel. Ce doit être nous, ça ! Toi, tu traduis sous le statut d'auteur des livres et des documentaires, à côté d'autres commandes relevant, elles, de la traduction libérale. Moi aussi. (J'ai bien cherché, c'est notre seul point commun. Pour le reste : âge, sexe, expérience, langage, goûts musicaux et gastronomiques, choix vestimentaires... un gouffre nous sépare.)

Le texte de présentation de l'encadré indique, entre autres catégories professionnelles : « communication (audiovisuel et multimédia, presse, publicité, traduction) ». Ça se confirme, nous sommes sous le microscope des chercheurs.

C'est d'autant plus réjouissant que, nous dit-on, la nomenclature utilisée par l'Insee est harmonisée avec celle de l'Union européenne, ce qui permet des comparaisons. Voilà qui est sensé et donne bon espoir d'informations et d'actions utiles, y compris au niveau communautaire. Par acquit de conscience et pure maniaquerie, vérifions notre code NAF dans le tableau, à la rubrique « Édition écrite » : « Traduction et interprétation, code 7430Z ».

Je le connais, celui-là. C'est celui qui figure sur mes papiers Urssaf, puisque j'ai la casquette libérale, en plus de celle d'auteur. Autrement dit, c'est celui qui s'applique à mes traductions hors édition et hors audiovisuel mais en aucun cas à mes traductions pour l'édition ou pour l'audiovisuel. Il apparaît aussi sur les papiers Urssaf de nos collègues relevant uniquement du statut libéral, y compris ceux qui œuvrent exclusivement dans des domaines techniques et informatiques, ou financiers. Loin de moi l'idée de nier le caractère culturel au sens large de ces activités, et le caractère culturel discutable de certains livres ou films – le sens du terme « culturel » restant à préciser. Mais dans ce cas, tout ingénieur, informaticien ou banquier travaille dans le secteur culturel et le rapport Insee devrait faire beaucoup plus que 156 pages.

Le code NAF 7430Z s'inscrit dans la catégorie « Activités spécialisées, scientifiques et techniques » définie par l'Insee, aux côtés de ceux de services juridiques, comptables ou vétérinaires.

« Et les traducteurs-auteurs, ils ont un code NAF spécial ? », soulèves-tu la question, cher Jeune Traducteur Inexpérimenté mais intelligent, quoique non encore nomenclaturé en tant qu'auteur. Il est vrai que si tu demandais une inscription sous les deux codes, il y aurait à craindre que l'Urssaf s'embrouille, voire explose. Eh oui, il en existe un, le 352b, pour les « auteurs littéraires, scénaristes et dialoguistes ». Il inclut nommément les traducteurs littéraires. C'est à croire que l'Insee, à laquelle on doit cette étude, ne lit pas sa propre nomenclature. Pourtant, on peut penser que cette catégorie de traducteurs s'inscrit davantage parmi les professionnels de la culture que ceux relevant du code 7430Z.

Résultat : dès ce premier encadré, on subodore que le rapport se plante de population. Dans la colonne de droite du tableau sont énoncés les pourcentages représentés par les diverses professions au sein de leur catégorie. Soit, pour la traduction, 41 % de l'édition écrite. L'ennui étant que parmi cette catégorie, désignée sous le code 7430Z, seule une minorité de traducteurs travaille pour l'édition. Et que les traducteurs qui travaillent pour l'édition ne sont pas comptabilisés, puisque leur code NAF 352b ne figure nulle part dans l'étude. Il est vrai que la plupart d'entre eux n'ayant pas fait de déclaration d'installation (pour cette même raison que l'Urssaf risquerait de s'embrouiller et de les classifier parmi les libéraux et surtout, parce qu'ils sont dans le cas le plus habituel dispensés de cette inscription), ils ne sont répertoriés sous aucun code.

Bref, ce pourcentage est faux, d'emblée. Examinons tout de même la suite. Un encadré n° 2 se penche sur les « indépendants des secteurs culturels dans les sources statistiques » (page 62). À force de se pencher, il nous aperçoit, et nous distingue très bien, même. Mais comme il se fonde sur le mode de déclaration de revenus auprès des services fiscaux, il ne retient que les auteurs déclarant leurs droits d'auteur en BNC (Bénéfices non commerciaux). Or parmi les traducteurs-auteurs, ceux-ci sont minoritaires, la plupart d'entre nous déclarant leurs droits d'auteurs en Traitements et salaires ! Et l'encadré d'avouer, pas plus piteusement que ça, qu'il « évalue ainsi à plus de 30 000 le nombre d'artistes-auteurs absents de la base "non-salariés" ».

Par chance, un encadré n° 3, bien informé et intitulé « Une sous-population d'indépendants dans les milieux culturels : les artistes auteurs affiliés », vient à notre rescousse pour extraire du néant statistique la « sous-population des artistes-auteurs [traducteurs d'édition compris] "les mieux intégrés" ». C'est-à-dire ceux qui gagnent assez (8 577 euros en 2014) pour être non pas simples assujettis, mais affiliés à l'Agessa, l'organisme qui, faisant le lien entre nous et le régime général de la Sécurité sociale, encaisse nos cotisations.

Enfin, un chiffre qui nous concerne, même s'il ignore les malheureux assujettis, définitivement inintégrables ? désintégrés ? perdus dans les limbes ! 1 810 euros mensuels (il s'agit d'un montant net ?) en moyenne comme revenu pour un traducteur affilié à l'Agessa, notre profession occupant le bas de l'échelle parmi les auteurs. Et les traducteurs-auteurs affiliés ne seraient que 1 070 en 2011. Allez atteindre avec ça 41 % des effectifs des professionnels de l'édition ! L'Insee s'avère incapable de détecter ses propres absurdités contradictions : la page 63 de son rapport donne clairement à penser que les chiffres de la page 60 ne tiennent pas la route.

On apprend aussi dans cet encadré, sans plus de précisions, que les traducteurs affiliés à l'Agessa sont en majorité des traductrices. Ouf, enfin une info qui reflète la réalité.

 

Tu commences à avoir des doutes, cher Jeune Traducteur Inexpérimenté, sur l'intérêt d'études ne reposant que sur des chiffres – par nature, puisqu'elles émanent de l'Institut national de la statistique* ? Et qui, par-dessus le marché, trouvent moyen de les établir sur des bases erronées ? Tâchons de te consoler et d'en apprendre un peu plus en inspectant une deuxième étude, celle-là publiée par le ministère de la Culture. Elle s'intitule « Revenus d'activité et niveau de vie des professionnels de la culture ». Nous voici de nouveau en plein dans la cible. Chouette. Et c'est notre ministère de tutelle qui se soucie de notre sort ! Chouette derechef.

« Bon, alors, combien on gagne ? », trépignes-tu. Pour satisfaire ton impatience, sautons directement à la page 5, où il est dit que les traducteurs gagnent, comme revenus directement liés à leur activité, entre 22 500 et 26 500 euros (nets, selon la page 25).

Remontons pages 3-4. Vlatipa que nous sommes des cumulards ! « Plus de 10 % des professionnels des arts visuels et des auteurs littéraires et traducteurs cumulent salaires et revenus d'indépendants. » 

Un peu plus loin, la situation entre deux chaises particulière aux auteurs se précise et le pourcentage s'élève : chez «  les auteurs littéraires et traducteurs (13 %), [le cumul] correspond alors vraisemblablement à une combinaison de droits d’auteur (lorsqu’ils sont déclarés en bénéfices non commerciaux) et de salaires (rémunérant par exemple une activité d’enseignement ou une prestation scénique pour un artiste des spectacles). »

Là encore, on ne prend en compte, pour établir des généralités, que le cas particulier d'une minorité qui, parmi les traducteurs exerçant sous statut d'auteur, déclare ses droits en BNC !! Et si l'on s'en tient à cette logique, la majorité des autres, celle qui déclare ses droits d'auteur en Traitements et salaires, est tout simplement considérée comme SALARIÉE, puisque cette nouvelle étude se fonde, pour examiner nos professions, non pas sur les réalités de notre exercice, mais sur le mode d'imposition de nos revenus.

Figure ensuite un tableau récapitulant la part salariée et non salariée des professionnels de la culture. Moralité et si on lit vite, nous, traducteurs d'édition, sommes à 64 % SALARIÉS. Vous en connaissez beaucoup, vous, des traducteurs d'édition salariés ?? Moi, aucun. Je connais juste une poignée de collègues salariés de l'audiovisuel. Selon ce même tableau, 34 % auraient des revenus non salariés. Cela défie l'évidence. Ne serait-ce que parce que la population prise en compte est uniquement celle déclarant ses droits d'auteur en BNC, voilà encore un chiffre qui peut partir à la poubelle. Avec nos impôts qui ont servi à financer ce second torchon.

Au fait, l'autrice de cette deuxième étude est la même que celle de la partie consacrée par le rapport de l'Insee aux non-salariés dans les activités culturelles.

Madame, je voudrais vraiment communiquer avec vous à propos de ces documents. Je vais tâcher d'entrer en contact avec vous. Si un lecteur a vos coordonnées, je souhaiterais vivement en prendre connaissance, merci.

Tu pleures à chaudes larmes, pauvre Petit Traducteur qui vient de découvrir que même un chiffre peut être faux et que l'on peut élaborer à son sujet des tissus d'informations erronées ?

 

Pour te faire oublier ta déconvenue, jetons-nous sur une revue professionnelle des plus sérieuses, consacrée à l'actualité littéraire, comme son nom l'indique. « Hommes et femmes dans l'édition, la parité avance à petits pas »... Chien de garde comme je te connais, parions que l'article ainsi intitulé va te passionner, d'autant plus qu'il repose sur un rapport publié par les estimés artistes-auteurs plasticiens du CAAP (ouais, ceux-là même qui prétendent nier auprès du Conseil d'État le statut d'auteur des traducteurs et donc leur droit à la formation, au risque de se priver bêtement de leur contribution à l'enveloppe).

Qu'est-ce qu'il nous révèle, l'article ? « En France, parmi les salariés, les hommes gagnent en moyenne 25 % de plus que les femmes, une inégalité deux fois plus forte chez les artistes-auteurs, puisqu'ils gagnent en moyenne 50 % de plus. » Plus précisément, nous indique un tableau, les traducteurs d'édition gagnent 35 % de plus que leurs homologues féminines.

Explication de texte : ce rapport compare salariés et travailleurs indépendants. Dans le monde salarié, on observe évidemment des différences à travail égal. Pour ce qui est des professionnels indépendants, l'étude du ministère nous balance les rémunérations annuelles respectives des auteurs et des autrices, sans chercher à préciser si cela représente un volume de travail identique. Il est très probable que pour des raisons sociologiques, les femmes qui travaillent en indépendantes pour l'édition  écrivent/traduisent de moindres volumes annuels. Il se peut aussi qu'elles soient payées moins au feuillet. (Chère ATLF, voudrais-tu bien, s'il te plaît, exploiter ce point du questionnaire que tu soumets à tes adhérents chaque année et qui, seul, peut nous éclairer sur la question ?)

Mais qui peut faire croire à un lecteur, même distrait et parcourant cet article d'un œil trop pressé, que ta rémunération au feuillet, cher Jeune Traducteur Inexpérimenté, dépasse de 35 % la mienne ? Nous sommes d'accord, un leitmotiv revient en filigrane tout au long de ce billet : il y a comme un hic.

Que cela ne te dissuade pas, (relativement) plein aux as comme tu l'es si l'on en croit la presse, de m'offrir un pot au troquet du coin. Et de te servir plus que jamais de ton cerveau quand tu traduis des textes contenant des données chiffrées, ne serait-ce que pour signaler au donneur d'ouvrage qu'elles ne tiennent pas debout.

 

 

* Quand je cherche des études sérieuses
fondées sur des chiffres,
je les trouve souvent auprès de l'INED,
Institut national d'études démographiques.
Je me repais de ses fiches claires et instructives,
qui battent en brèche bien des idées toutes faites.
Dommage qu'il ne soit pas dans les attributions
de l'INED
d'examiner la population des traducteurs et sa démographie.

 

12 août 2015

Conseils à un Jeune Traducteur Inexpérimenté (13) - Carte postale

Cher Petit Traducteur Parisien tout racorni par des semaines de sècheresse, Cher Nouveau Collègue Découvrant que dans la Vraie Vie, on n'a pas trois mois de vacances d'été, Cher Jeune Traducteur Inexpérimenté,

Tu broies du noir parce que tu es tout seul devant ton ordi et que tes copains t'ont tous abandonné ? Non, par chance, ils sont presque tous là à savourer la capitale, vidée d'une bonne partie de nos congénères, et tu ne manques pas de les rejoindre pour un pique-nique, un resto, un concert et/ou un ciné en plein air, une fois ta ration de travail engloutie.

Tu broies du rouge parce qu'un publireportage pour une « plateforme pour freelances » voudrait faire croire qu'on doit payer pour bosser (les journalistes aussi ?) ; se scandaliser que d'aucuns (dans un pays à bas niveau de vie) se fassent payer 0,01 dollar le mot, alors qu'on empoche royalement 0,03 dollar soi-même (en France) ; pavoiser parce qu'on roule sur l'or avec ses trad. et son RSA ; se décréter anglophone parce qu'on traduit  « magazine circuits automobiles » par « race motors magazine » ?

Tu broies du gris à la lecture d'articles de presse qui voudraient qu'on s'extasie parce que trois individus ont traduit ? torché ? un pavé en une semaine, afin que sa version française baigne dans l'huile solaire sur les plages au lieu d'attendre la rentrée littéraire ? À quoi bon ? Quel donneur d'ouvrage est assez idiot pour croire que toute la profession, toi compris, peut et doit en faire autant, et pas forcément contre un paquet de dollars mais plutôt pour trois clopinettes ? Si la presse fait ses choux gras d'une exception, c'est bien parce que c'est une exception ! De même qu'elle salue les exploits d'athlètes médaillés et non pas tant le footing quotidien d'une multitude de coureurs de fond. Rien de représentatif là-dedans, ni de comparable avec le sérieux, la déontologie, la méticulosité scrupuleuse, le talent artisanal confinant au métier d'art doublé d'un sacerdoce qui caractérisent le traducteur lambda, capable de réfléchir ergoter farfouiller tergiverser méditer consulter les collègues des après-midis entiers sur un terme. Pour le laisser reposer pendant la nuit et en trouver l'équivalent évident le lendemain, au petit lever. Encore faut-il qu'on le laisse dormir la nuit.

Tout au plus l'anecdote à sensation doit-elle te servir de prétexte idéal pour mieux faire connaître ton métier, par contraste, auprès des profanes de ton entourage ou, mieux, sur les réseaux sociaux, histoire de toucher un public plus large. En lui exposant la belle réalité que tu connais, toi : « Nan, je traduis pas du chick-cul sous pseudo, môa, mais c'est bien parce qu'on ne m'en a jamais proposé. Nan, on ne me met pas à l'ombre dans un bounequère contre un pont d'or sous prétexte de confidentialité du pavé à traduire, mais j'ai bien du mal à ne pas signer les accords de confidentialité léonins que me glissent sous la plume certains donneurs d'ouvrage, en guise de chantage au boulot à trois balles. Nan, j'accepte pas des délais de maboule, c'est juste que mes donneurs d'ouvrage ont le chic pour me donner le texte définitif à traduire au lendemain de la date prévue pour la remise du boulot. » Etc.

Tu ne sais plus quelle couleur broyer quand tu te rends compte que certains de tes propres collègues ont le crâne bourré de préjugés ou, au mieux, d'idées dépassées depuis l'an quarante sur d'autres catégories de traducteurs que la leur, et persistent à les répandre malgré les patients éclaircissements que d'autres leur prodiguent ? Quand, par exemple, ils s'accrochent à l'illusion selon laquelle tous les traducteurs d'édition ne s'adonneraient qu'à de la grande et belle littérature (faudrait commencer par la définir) ? En oubliant que sans la masse de leurs collègues qui traduisent moins éthéré, ils ne seraient plus qu'un peloton minuscule. Même les copains, quand ils avouent des titres un peu ras les pâquerettes, ont l'air de faire un coming out, comme si la morale ambiante les réprouvait.

 

Cher petit collègue et néanmoins ami, ne te laisse pas abattre, toi que j'ai connu si motivé naguère. Oublie les images démoralisantes et fausses qu'on colporte sur ton métier. Remets-toi à l'ouvrage avec l'entrain qui te caractérise quand le week-end arrive.

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02 décembre 2014

Une seule lettre vous manque

« Dès qu'on veut être sympa, drôle ou culte », on la met en haut de l'affiche (et au milieu, et en bas aussi, enfin, partout). Alors que c'est paraît-il une hérésie, tout juste bonne à donner la parole à un clébard informatique ou à annoncer un concours de beauté de yorkshires.

Elle fait pourtant partie des marottes de ce blog, ignorant de ce qui se typote ou pas. Il lui trouve une bonne tête et pis c'est tout.

Cela n'empêche pas d'admirer les autres, qui s'étalent sur le site de France Culture en de jolis petits films. Signée Thomas Sipp et dite par Chiara Mastroianni, la série s'appelle Sacrés Caractères. Je ne vous cache pas un gros faible pour sa lointaine cousine et pour la vidéo qui lui est consacrée :

 

 

Cher bas de casse, Chère minuscule, Cher Jeune Traducteur Inexpérimenté** passant par là,

Tu te demandes en quoi ce billet peut avoir un rapport même lointain avec la raison d'être de ce blog : s'intéresser à de multiples petites choses et s'en imprégner car tôt ou tard, elles imprégneront à leur tour une traduction quand elles ne s'offrent pas le luxe de ne servir à rien d'autre qu'au plaisir de la tenancière.

Sache que oui, la typographie a son rôle dans ton travail. Pour ce qui est du choix de la police et de la taille de caractères, il est vrai que c'est à ton donneur d'ouvrage de te donner des indications ou, mieux, une charte graphique. En leur absence devenue quasi systématique, contente-toi d'éviter l'illisible. Pour le reste, voici un scénario à éviter :

Ton texte accroche l'œil parce que :

–il est truffé d'espaces excédentaires , absentes ou mal placées***( j'en dis pose   ici quelques- unes pour que  tu   voies l' effet que ça   produit

  ;

– tu ignores les règles à respecter en matière de sigles (en principe, tout en majuscules seulement s'ils font au maximum 4 caractères et sinon, capitale seulement pour le premier mot, de même que dans le sigle développé. Ex. : ATAA, ATLF, SFT, Ftdei, alias Front traducteur de défense des espaces insécables) ;

– tu ponctues ! à tort, et, à travers... ? ;

– tu oublies de mettre en italiques les titres d'ouvrages, par exemple ;

et tout à l'avenant.

 

Résultat :

– entre deux tests de traduction, à qualité égale pour le fond, un donneur d'ouvrage – si tant est qu'il possède lui-même les compétences pour en juger – choisira plutôt celui rendu sans erreurs de typographie ;

– si ton éditeur dépose un dossier de demande de subvention pour le livre que tu as traduit, il risque d'être renvoyé à la session suivante, après nettoyage des coquilles, espaces indûment sécables et autres petits détails, sans parler les erreurs d'orthographe ;

– si, plein de bonne volonté, tu rédiges un article pour une revue ou un blog de traducteurs, les collègues qui corrigeront ton papier avant publication penseront que tu te paies leur tête se demanderont si tu rends tes textes à tes donneurs d'ouvrage dans le même état et, en cas de surcharge de travail, hésiteront à aiguiller les leurs vers toi car cela donne à penser que tu ne te relis pas.

 

** Comme tu le verras plus loin dans ce billet, ce blog, en mettant des capitales à tous ces mots, enfreint lui-même les règles typo. Mais son Cher Traducteur Inexpérimenté est un cas (pital) à part. :)

*** Eh oui, quand il est terme de typographie, le mot « espace » est du féminin.

 

17 mai 2014

Conseils à un jeune traducteur inexpérimenté ( 12 ) - Hi we're here to help you

Cher Jeune Traducteur Inexpérimenté,

Si des gens t'appellent en anglais de l'autre bout de la planète (0016306941357) en te disant qu'ils s'appellent Microsoft (prononcé de travers, mais bon), qu'ils te préviennent gentiment que ton ordinateur est bourré de logiciels malveillants, essaient pour y remédier de te faire saisir des adresses .com suspectes sur ta ligne de commande et, finissant par piger que tu les balades depuis un quart d'heure pour leur apprendre à te faire perdre ton temps constatant ton manque de bonne volonté, raccrochent en te donnant le conseil suivant : « Fuck you », oui, il s'agit bien d'une tentative d'arnaque, puisque pour cela, tu sais déjà que ton ordinateur n'est pas absolument indispensable.

Bravo, tu progresses.

 

16 avril 2014

Conseil à un jeune traducteur inexpérimenté (11) - Rellis-toi !! Euh... Relis-toi !

Le thème central de ce billet aurait cadré avec ma rubrique « Je traduis, tu traduis, ils traduisent ? ». Cependant, cela fait un bout de temps que je n'ai pas secoué le Jeune Traducteur Inexpérimenté de sa torpeur de zombie habituelle. D'où l'intitulé de cet article.

— Ohé, du Jeune ! Es-tu là ou parti pour une de tes innombrables escapades, au point que je me demande comment tu paies tes cotisations sociales ?

— Zzzzz. Ça m'aurait étonné qu'elle ne me tombe pas dessus à la veille du week-end de Pâques. Ben oui, le mercredi avant Pâques, c'est veille de week-end, on est d'accord ?

— Ça trime dur ?

— Bah ouais, je rentre d'un stage de danses bretonnes en Thaïlande. Après, j'enchaîne les ponts du mois de mai pour une formation en immersion totale en langue des signes en mer Rouge, pour la plongée sous-marine. Ensuite, je suis là mais je repars bientôt pour une petite rave de trad à Berlin, histoire de revoir quelques potos d'Erasmus. Alors là, entre les deux et pour me payer mes vac... pour pouvoir avancer mes frais de déplacements professionnels, je bosse en bâclant à mort.

(Il m'énerve, à passer 6 mois sur 12 en villégiature tandis que d'autres travaillent d'arrache-pied quasiment toute l'année.) Puisque pour une fois je te saisis en plein labeur, j'ai un conseil à te donner, dans mon immense générosité à ton égard, sans la moindre contrepartie mais que pourrais-je bien tirer de ce gamin dépenaillé et presque encore boutonneux ? Ce conseil, c'est : relis-toi !

— Hun ? Mais c'est toi qui m'écris, là, ô vieillarde sucrant les fraises. Déjà pas mal que je te lise tout court.

— Relis ton travail avant de le rendre au donneur d'ouvrage, bougre d'âne, là est mon propos. Relis-le plusieurs fois à l'écran puis encore une fois sur papier. Cela fait partie intégrante de ton travail. Sans quoi, d'autres s'en chargeront à ta place et ajouteront des erreurs même là où, étonnamment, tu n'en avais point commis toi-même. (Cachons au blanc-bec qui, après tout, a encore droit à sa part d'innocence que souvent, les sagouins en question souilleront son œuvre de leurs sales pattes en la truffant d'erreurs éhontées, quand bien même il l'aurait relue cinq fois.)

— Ah bon, c'est pas l'agence qui relit ? (Je me relis quatre fois systématiquement mais je joue auc' juste pour la vénère, ma reum d'adoption.)

Malheureux, surtout pas ! Ta réputation est en jeu et avec elle, celle de toute une profession. Comment peux-tu rendre un travail non relu ?!! D'autant plus que, crois-je savoir, tu as recours à de modernes artifices. J'ai ouï dire d'un logiciel de reconnaissance vocale avec lequel tu dictes au lieu de taper, au risque que ce gadget ne tombe dans chaque piège homophone que lui tend notre belle langue française ? (Cela dit, vu l'orthographe des morveux nés à l'ère heureusement déjà dépassée du SMS, l'écriture d'un monstre cracheur de feu ne saurait guère être pire.)

Pour peu que tu utilises ces outils de bas étage non seulement pour traduire mais aussi pour assurer ta communication en ligne via ton site Web et ce, sans te relire avec un œil de lynx, cela pourrait donner ceci :

2014-04-16 Azerty.png

— Dis donc, noble ancêtre dont l'absence de cheveux blancs n'est due qu'à l"infecte collaboration d'une industrie cosmétochimique ultrapolluante (tiens, prends ça dans ta tronche, ça t'apprendra à me réveiller à 11 heures du mat' pour m'apprendre mon taf), je te signale que :

1. Moi, je tape en bépo et pas avec des systèmes de clavier mis au point à l'âge de pierre.

2. Ouais, je l'ai déjà vu, ton gag, il a fait marrer une partie de la profession. Mais c'est le site d'une agence ou prétendue telle, pas d'un traducteur censé être indépendant. Sinon, on se demande comment il pourrait aligner une quarantaine de « langues parlées » (en plus de l'azerty :).

3. D'accord, mon logiciel de reconnaissance a des progrès à faire. Mais je n'ai pas la bouche pâteuse au point qu'il confonde « azerty » et « azéri ».

4. La dame qui cause azerty dans le texte et même qui le traduit, elle affiche 30 ans d'expérience au compteur ! Toi, à côté, tu as l'air d'une débutante. Alors si tu as des conseils à donner sur l'autorelecture, faut changer de cible au lieu de t'en prendre aux djeunz. D'ailleurs, à ce propos, j'en trouve souvent, des fôtes d'étourderie, sur ton blog...

— Oui, j'avoue que je ne relis pas mes billets sur papier. Et je reconnais que je te prends souvent comme bouc émissaire et comme prétexte, toi, pauvre Jeune Traducteur Inexpérimenté, pour souligner ici des travers largement partagés par de vieux jetons de la profession, qui n'ont même pas l'excuse de sortir à peine de l'école.

Je te laisse carburer pour mettre trois sous de côté et repartir pour deux semaines à l'autre bout de la planète, avec un bilan carbone déplorable (tiens, prends ça, p'tit con, dont j'anticipe la calvitie d'ici cinq ans, tiens, reprends ça au passage, pour t'apprendre le respect).

Pendant ce temps, moi, je voyage par traductions interposées, même si elles ne m'ont encore jamais emmenée en Azertyaïdjan...