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19 janvier 2014

Le traducteur traduit (4) - « C'est un cas de force majeure »

Rappelons que cette rubrique a pour but de décrypter et de traduire le langage du traducteur, plutôt moins jargonnant que celui d’autres professions mais parfois déconcertant tout de même.

 

Tout client peut s'entendre arguer, par une petite minorité de prestataires peu scrupuleux, d'un cas de force majeure obligeant à repousser un délai. Pourtant, le traducteur digne de ce nom doit avoir assez de conscience professionnelle pour être dûment vacciné contre la grippe, paré contre les virus informatiques et doté d'une famille tout aussi infaillible, afin d'éviter un retard dans la remise de son travail, n'est-ce pas ? Tu as raison, cher Donneur d'ouvrage : tu ne nous entendras pas souvent gratter quelques heures de sursis.

Même le pire tire-au-flanc n'osera te soutirer un report de délai supplémentaire sous le prétexte fallacieux, par exemple, que le rédacteur de ton texte a truffé celui-ci de citations énoncées, à l'origine, dans la langue vers laquelle il est censé les traduire, en s'abstenant bien d'en indiquer les auteurs et les sources, ce qui vaut au traducteur des heures supplémentaires de recherches et de sueurs froides pour les retrouver. Il préfèrera plutôt y passer ses nuits. 

Cependant, si ton « prestataire de traduction » favori te soutient preuve à l'appui (et non trafiquée sous Photoshop) qu'il a été victime d'un imprévisible ralentissement de sa vitesse de frappe par le poids d'un élément perturbateur et quasiment paralysant, crois-le, car il s'agit là d'un véritable cas de force majeure. Accorde-lui de bon cœur la petite rallonge (mais non, pas financière, ce blog n'est pas grossier) qu'il sollicite de ta bienveillance à titre exceptionnel – jusqu'à la prochaine sieste de l'élément perturbateur.

20131206_195528.jpg

 

01 novembre 2012

Le traducteur traduit (3) « J'ai sous-titré un film muet »

Rappelons que cette rubrique a pour but de décrypter et de traduire le langage du traducteur, plutôt moins jargonnant que celui d’autres professions mais parfois curieux tout de même.

En l’occurrence, le traducteur est une copine-traductrice-adaptatrice de l’audiovisuel, avec qui j’ai eu la joie de papoter il y a quelques jours lors d'une grand-messe un meeting un jamboree un raout de congénères une réunion publique d'information de l'ATAA. Une tierce consœur s’enquérant de ce qu’elle faisait en ce moment, Caroline (Barzilaï) lui répond :

« Là, je viens de sous-titrer un film muet. »

Après un temps éclair de perplexité réflexion, car il faut reconnaître que sur l’instant, ça peut surprendre, je me mets à la place de l’auditeur profane dont les oreilles auraient pu traîner dans le coin. Je l’entends ricaner d’ici : « Tranquille, ce taf, ça doit pas être fatigant - j’espère que c’est bien payé de traduire un truc qui parle pas. » (Désolée, j’ai chopé au hasard un auditeur profane moyennement évolué. Imaginaire, le gus, mais pas idéalisé.)

Explication de texte : Caroline a sous-titré les cartons (ou intertitres) d’un film de Murnau, Schloss Vogelöd  (La Découverte d'un secret).

2012-11-01 Murnau.jpeg
                                                           © ?

Exemple de sous-titre de carton :

   234:  11:11:45.14  11:11:49.14     4:00   6.04   56   67   60
        _"Enchaînés l'un à l'autre
        _par les liens de la culpabilité !

En fait, Schloss Vogelöd est plutôt bavard pour un film muet car, nous précise Caroline, il comporte environ 200 intertitres. Tiens, on ne l’entend plus, l'auditeur profane…

27 mai 2012

Le traducteur traduit (5) - « Commanditaire »

Une frange de la profession emploie le mot « commanditaire » pour désigner la personne que les autres traducteurs appellent « donneur d’ordre » ou – mieux, à mon goût ! – « donneur d’ouvrage » (ou encore « client », surtout chez ceux qui exercent en libéral plutôt que sous le statut d’auteur).

Intrigant, non ? Je parie que ce commanditaire vous rend aussi perplexes que moi, sauf si vous faites partie de la frange en question.

Consultons le dictionnaire (j’ajouterai l'ami Robert quand je l’aurai de nouveau sous la main – pour le moment, il est en villégiature). Le Littré dit : « Bailleur de fonds dans une société en commandite. » Rien à voir avec notre homme/notre femme, donc. Le Larousse donne une définition semblable, en précisant qu’il s’agit de vocabulaire juridique : « Associé d’une société en commandite qui apporte des fonds ». Il indique aussi cet autre sens : « Personne qui commandite. » Hop, direction l’entrée « Commanditer » : « Organiser, financer un crime, un délit. »

 

Aaaaaaah ! Je savais bien que ça vous ferait tiquer et que le mot « commanditaire » vous évoquerait d’emblée, à vous aussi, la rubrique « Faits divers » des journaux ou certains films noirs, pourtant rarement consacrés à cette activité mafieuse aussi souterraine que nuisible qu’est la traduction.

 

Un troisième et intéressant sens de « commanditaire » figure dans le dico : « Recommandation officielle pour “sponsor”. » Et, à l'entrée « commanditer » : « Recommandation officielle pour “sponsoriser”. » Dans ce cas, mais seulement dans celui-là, je veux bien me faire commanditer, moi. Parce que, c’est bien connu, le crime la traduction ne paie pas. 

Les collègues ou autres connaisseurs de passage ici voudront peut-être nous expliquer comment « commanditaire » a pu prendre le sens de « généreuse entreprise donnant gentiment du boulot aux travailleurs indépendants ». Je n’ai moi-même pas trouvé cette acception dans les dictionnaires juridiques que j'ai consultés, ni dans la base terminologique IATE de l'Union européenne, ni dans mes contrats avec mes... euh... copains qui me font vivre. Juste ceci, dans une ébauche d'article de Wiki, faisant un peu l'amalgame entre les trois sens indiqués ci-dessus : « Entité demandant une prestation à une autre entité, moyennant rémunération. »

26 avril 2012

Le traducteur traduit (4) - Faut que je redresse mon dragon

 Dragon chinois quai Branly DSCN5529_562 (Small).JPG

Le traducteur tient parfois un curieux langage. Cette rubrique a pour but de décrypter et de traduire son jargon. L’oiseau pratiquant son ramage de préférence en compagnie de congénères, on l’entend plutôt rarement, hors leurs rassemblements d'étourneaux. Parfois, selon les frondaisons où les congénères évoluent de coutume, même eux peuvent ne pas comprendre d'emblée le verbiage d'un collègue. Et bien souvent, ce jargon reste d’autant plus impénétrable que notre spécimen ne le pratique qu'en parlant tout seul devant son ordi, in petto ou non. Exemple :

Faut que je redresse mon dragon
(ton : marmonnement contrarié mais résigné, avec soupir en option)

Lecteur, je comprends ta perplexité, surtout si tu n’exerces pas notre noble profession. Et quand bien même ce serait le cas, peut-être n’as-tu jamais utilisé de logiciel de reconnaissance vocale, outil servant à dicter sa traduction au lieu de la taper au clavier.

Dragon chinois quai Branly DSCN5527_560 (Small).JPG

Explication de texte :

Le Dragon en question est l’appellation du logiciel que j’utilise (version 11, pour les intimes), lui-même commercialisé par un éditeur dont le nom évoque l’idée de langage naturel. À ce propos, on lira l’intéressante analyse des Piles intermédiaires sur le choix des noms de marques informatiques actuelles, souvent mitonnés à la sauce médiévalo-fumeuse.

Une fois la bête installée, on doit l’habituer à sa voix et à son vocabulaire, ce que j’appelle judicieusement « dressage ». Cela consiste, dans un premier temps, à lire avec plaisir et à haute voix une trentaine de pages du Tour du monde en quatre-vingts jours. Ensuite, le logiciel apprend sur le tas.

Léger hic : l’existence du travailleur indépendant œuvrant sur PC est ponctuée, à intervalles plus ou moins rapprochés, de plantages informatiques.

Dans ces cas malheureux, et malgré tous ses efforts de sauvegarde, on n’arrive pas toujours à récupérer les paramètres du logiciel. Et hop, on est alors reparti pour un début de tour du monde avec Jules Verne. Autrement dit, pour « re-dresser » son dragon.

« Quel intérêt par rapport au clavier ? me demanderez-vous. Tu tapes avec un seul doigt ? » Non, je tape vite et avec tous les doigts (des mains), sans regarder le clavier. Mais la dictée soulage certaines vertèbres, épaules et autres pièces de mécanique qui rouillent, l’âge aidant   qui se déglinguent volontiers lors d’un stage de kayak  qui ploient à force de labeur assidu.

« Et ça marche, ton machin à reconnaissance vocale ? » Eh bien, oui, contre toute attente, ça marche. Avec des bugs logiciels qui me dépassent parfois (et dépassent manifestement le concepteur ou du moins le cadre de sa base d’erreurs). Mais souvent, avec d’agréables surprises aussi, quand le bestiau s’avère, par exemple, connaître des noms y compris propres et/ou exotiques sans que je les lui aie appris. Car évidemment, il est livré avec un gros bagage langagier, qu’on ne fait que compléter à l'usage. Exemples saisis du premier coup par mon animal de compagnie préféré : James Brown guarani Martin Luther King Henri-Georges Clouzot Mahabharata PSG Frieda Kahlo boustrophédon (que j'ai prononcé « boustophédron » exprès pour le piéger et non pour cause d'ignorance ou de dyslexie naturelle, bien entendu).

Vous vous en doutez, l'inconvénient de la reconnaissance vocale en français est l'incroyable quantité d'homophones ou quasi-homophones dans cette langue (est/et, singuliers/pluriels, par exemple). L'outil ne les discrimine pas toujours, bien qu'il soit apte à tenir compte du contexte. C’est souvent agaçant. Et quand il se trompe, inutile de proférer des grossièretés : l'animal fait mine de ne pas comprendre. Remarquez, c'est peut-être mieux, pour le rendu de la trad.

Dragon chinois quai Branly  DSCN5528_561 (Small).JPG
(On voit qu'il a beaucoup traduit, hein ? Euh, je veux dire, beaucoup pris sous la dictée.)

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Dragondigression :

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Sans rapport autre que d'espèce avec mon dragon à moi, ou avec son éditeur, le dragon ci-dessus illustré est constitué de notes autocollantes, qui ont aussi servi à dessiner le nom de l’entreprise installée derrière les vitres.

Quand je vois des trucs comme ça, je me réjouis de n’être ni salariée (encouragée de manière aussi vive que tacite à prendre part à l’œuvre collective, histoire de vous souder une équipe), ni patronne (obligée de commander au prix fort des études de coûts comparatives « ravages papivores sous forme de dizaines de m2 de papillons multicolores / com de la boîte à moindres frais, puisque j’incite ces imbéciles d’employés à s’amuser à les coller sur les fenêtres de leur bureau paysager pendant leur pause-déjeuner »).

18 avril 2012

Le traducteur traduit (3) - « En formation »

Rappelons que cette rubrique a pour objet d’étudier le langage parfois abscons mystérieux du traducteur. Le donneur d’ouvrage sera ainsi mieux armé pour détecter les maladroits prétextes avancés par son prestataire pour se livrer à son activité favorite :
la paresse, au risque d’exploser des délais pourtant généreux.

Supposons que vous cherchiez à joindre votre traductrice préférée. (Oui, moi, évidemment. Vous avez de ces questions.) Vous tombez sur ce message d’absence :

« Je suis en formation toute la journée. »

« À d’autres ! Impossible, vous dites-vous : elle est parfaite et ne saurait avoir besoin de se former. La bougresse ment. Se ferait-elle en réalité la totale coiffeur-manucure-esthéticienne ? Très improbable. Vu l’aspect habituellement repoussant de la travailleuse de l’ombre, ce ne doit pas être dans ses mœurs. De plus, la journée et ses maigres ressources financières n’y suffiraient pas. Sans doute court-elle une de ces expos dont elle est friande, profitant d’un des rares avantages de son statut indépendant et dans l’illusion d’y être plus tranquille, à l’heure où déferlent retraités et groupes scolaires. »

Eh bien non. Elle ne ment pas (et elle va aux expos en nocturne). Deux traductions possibles à ce que vous prenez pour du boniment :

1. Interprétation de l’à la fois très estimée et inestimable Rose-Marie V. :

Votre traductrice joue les nuages. En effet, il n’y a à peu près qu’eux qui puissent être « en formation ». (Je passe sur d’autres phénomènes atmosphériques moins bien qualifiés pour une métaphore flatteuse, du genre tornades et autres catastrophes naturelles, dont je ne sais comment ils ont pu traverser l’esprit de Rose-Marie.) Hypothèse qui me remplit de gouttelettes d’aise, car nuage, c’est mon déguisement préféré.

2. Réalité justifiant plus probablement le message d’absence :

Nonobstant sa perfection naturelle, votre traductrice préférée approfondit ses connaissances auprès de collègues ou de formateurs spécialisés. Elle apprend à :

  • maîtriser encore mieux les ressources multiples d’Internet et ses infinies possibilités de communication
  • tenir sa comptabilité dans les règles de l’art (meilleur moyen, selon elle, d’y passer le moins de temps possible, et donc d'en consacrer davantage à ses chers donneurs d'ouvrage)
  • décrypter dans toutes ses finesses le subtil langage juridique qui fait le charme d’un contrat de traduction.
  • etc.

En cela, elle met à profit ses droits. En tant que traductrice pragmatique, ils lui sont déjà acquis depuis longtemps, puisque les professionnels libéraux cotisent pour cela. Et elle suit également les formations de son association de gestion. En tant que traductrice exerçant sous le statut d’auteur, ces droits lui sont théoriquement ouverts depuis 1946, comme à tous les travailleurs. Dans la pratique, ce ne sera effectif qu’à partir du 1er juillet 2012, date à laquelle les auteurs cotiseront eux aussi au titre de la formation continue. En attendant, ils bénéficient de sessions expérimentales, prises en charge par certains conseils régionaux.

Alors, il se pourrait que votre traductrice préférée
se re-transforme momentanément en nuage,
de temps en temps (couvert, donc).

nuage.jpeg

27 mars 2012

Le traducteur traduit (2) « Simulation »

L'autre jour, lors d'une mémorable cérémonie que Cannes, Venise, Berlin + l'industrie de la paillette et du tapis rouge réunis nous envient déjà, l'assistance a entendu l'une des lauréates, Pascale Joseph, prononcer cette phrase non moins mémorable :

« Elle ne fait pas semblant de simuler ! »

Lecteurs intrigués, pour peu que vous ne soyez pas initiés à ce langage étrange – y compris pour la plupart des traducteurs —, vous comprendrez mieux de quoi il retourne en lisant ceci.

La raison d'être de la rigoureuse simulatrice de Pascale et son paradoxal comportement auront, dès lors, beaucoup moins de secrets pour vous.

Après cette lecture, vous aurez aussi une meilleure idée de la difficulté du métier d'auteur de sous-titrage, de même que des autres spécialités décrites sur le site de l'ATAA.