26 avril 2012
Le traducteur traduit (4) - Faut que je redresse mon dragon
Le traducteur tient parfois un curieux langage. Cette rubrique a pour but de décrypter et de traduire son jargon. L’oiseau pratiquant son ramage de préférence en compagnie de congénères, on l’entend plutôt rarement, hors leurs rassemblements d'étourneaux. Parfois, selon les frondaisons où les congénères évoluent de coutume, même eux peuvent ne pas comprendre d'emblée le verbiage d'un collègue. Et bien souvent, ce jargon reste d’autant plus impénétrable que notre spécimen ne le pratique qu'en parlant tout seul devant son ordi, in petto ou non. Exemple :
Faut que je redresse mon dragon
(ton : marmonnement contrarié mais résigné, avec soupir en option)
Lecteur, je comprends ta perplexité, surtout si tu n’exerces pas notre noble profession. Et quand bien même ce serait le cas, peut-être n’as-tu jamais utilisé de logiciel de reconnaissance vocale, outil servant à dicter sa traduction au lieu de la taper au clavier.
Explication de texte :
Le Dragon en question est l’appellation du logiciel que j’utilise (version 11, pour les intimes), lui-même commercialisé par un éditeur dont le nom évoque l’idée de langage naturel. À ce propos, on lira l’intéressante analyse des Piles intermédiaires sur le choix des noms de marques informatiques actuelles, souvent mitonnés à la sauce médiévalo-fumeuse.
Une fois la bête installée, on doit l’habituer à sa voix et à son vocabulaire, ce que j’appelle judicieusement « dressage ». Cela consiste, dans un premier temps, à lire avec plaisir et à haute voix une trentaine de pages du Tour du monde en quatre-vingts jours. Ensuite, le logiciel apprend sur le tas.
Léger hic : l’existence du travailleur indépendant œuvrant sur PC est ponctuée, à intervalles plus ou moins rapprochés, de plantages informatiques.
Dans ces cas malheureux, et malgré tous ses efforts de sauvegarde, on n’arrive pas toujours à récupérer les paramètres du logiciel. Et hop, on est alors reparti pour un début de tour du monde avec Jules Verne. Autrement dit, pour « re-dresser » son dragon.
« Quel intérêt par rapport au clavier ? me demanderez-vous. Tu tapes avec un seul doigt ? » Non, je tape vite et avec tous les doigts (des mains), sans regarder le clavier. Mais la dictée soulage certaines vertèbres, épaules et autres pièces de mécanique qui rouillent, l’âge aidant qui se déglinguent volontiers lors d’un stage de kayak qui ploient à force de labeur assidu.
« Et ça marche, ton machin à reconnaissance vocale ? » Eh bien, oui, contre toute attente, ça marche. Avec des bugs logiciels qui me dépassent parfois (et dépassent manifestement le concepteur ou du moins le cadre de sa base d’erreurs). Mais souvent, avec d’agréables surprises aussi, quand le bestiau s’avère, par exemple, connaître des noms y compris propres et/ou exotiques sans que je les lui aie appris. Car évidemment, il est livré avec un gros bagage langagier, qu’on ne fait que compléter à l'usage. Exemples saisis du premier coup par mon animal de compagnie préféré : James Brown guarani Martin Luther King Henri-Georges Clouzot Mahabharata PSG Frieda Kahlo boustrophédon (que j'ai prononcé « boustophédron » exprès pour le piéger et non pour cause d'ignorance ou de dyslexie naturelle, bien entendu).
Vous vous en doutez, l'inconvénient de la reconnaissance vocale en français est l'incroyable quantité d'homophones ou quasi-homophones dans cette langue (est/et, singuliers/pluriels, par exemple). L'outil ne les discrimine pas toujours, bien qu'il soit apte à tenir compte du contexte. C’est souvent agaçant. Et quand il se trompe, inutile de proférer des grossièretés : l'animal fait mine de ne pas comprendre. Remarquez, c'est peut-être mieux, pour le rendu de la trad.
(On voit qu'il a beaucoup traduit, hein ? Euh, je veux dire, beaucoup pris sous la dictée.)
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Dragondigression :
Sans rapport autre que d'espèce avec mon dragon à moi, ou avec son éditeur, le dragon ci-dessus illustré est constitué de notes autocollantes, qui ont aussi servi à dessiner le nom de l’entreprise installée derrière les vitres.
Quand je vois des trucs comme ça, je me réjouis de n’être ni salariée (encouragée de manière aussi vive que tacite à prendre part à l’œuvre collective, histoire de vous souder une équipe), ni patronne (obligée de commander au prix fort des études de coûts comparatives « ravages papivores sous forme de dizaines de m2 de papillons multicolores / com de la boîte à moindres frais, puisque j’incite ces imbéciles d’employés à s’amuser à les coller sur les fenêtres de leur bureau paysager pendant leur pause-déjeuner »).
16:11 Publié dans Le traducteur traduit | Commentaires (3) | Lien permanent
Commentaires
Rentrée hier d'une semaine ailleurs (tu notes que je ne dis pas en vacances, car j'ai dû emmener mon pc - grr), j'ai pris du retard dans la lecture du blog... J'ai lu ce post en diagonale mais je reviendrai tout lire mieux, car cela m'intéresse, de dresser un jour un dragon... J'avais rédigé un article pour le bulletin des anciens (quand Sylvain s'est cassé la main au basket !) mais je n'ai pas sauté le pas...
Écrit par : Lor | 30 avril 2012
Oui, je me souviens de ton article (et du cassage de main de Sylvain).
Tu peux venir tester la bête à la maison, si ça t'amuse de voir le fauve en action (contre un paquet de caouètes, sa denrée favorite) pour découvrir ses talents et ses limites.
Merci pour ton commentaire !
Écrit par : L'Autre Jour | 01 mai 2012
Je me commente moi-même (oui, il faut être tombée bien bas) mais c'est pour la bonne cause : un petit lien vers le blog de Ma Voisine millionnaire, qui évoquait il y a quelque temps le Dragon comme idée de cadeau.
À vous de voir si votre conjoint traducteur bondira de joie ou s'il comptait plutôt sur vous pour lui offrir un bon resto ou une paire de charentaises dernier cri pour le changer de ses tongs pleines de trous :
http://mavoisinemillionnaire.com/vivre-avec-un-traducteur-independant-les-fetes-de-fin-dannee/
Ou s'il aurait préféré un chien ou un chat, comme animal de compagnie.
Écrit par : L'Autre Jour | 07 mai 2012
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