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17 mars 2013

Mots de travers (13) - Yorgué, Migouël y otros tantos

Ça faisait longtemps que je voulais vous en parler, amis Journalistes de la radio et de la télé.

Ce blog spécialiste de l'ajournement attendait pour cela le prochain Tour de France, prometteur de multiples occasions de vous en toucher un mot. Il avait déjà un titre de billet tout trouvé : Yorgué et Migouël font du vélo. Mais avec l'élection d'un nouveau pape***, vous grillez les étapes, les copaings. Je ne saurais désormais patienter jusqu'à l'heure de la Grande Boucle pour vous révéler un de ces scoops dont vous êtes friands. Un scoop en deux volets :

- nul n'est tenu de savoir prononcer toutes les langues de la terre, vu que c'est techniquement impossible (oui, même pour vous) ;

- quand on ignore la prononciation d'un mot ou d'un nom, mieux vaut, après tout, prononcer celui-ci à la française plutôt qu'à l'allemande ou à l'italienne, surtout quand ce mot ou nom est espagnol.

Ex. : Le célèbre Yorgué (Il a déjà été évoqué par les non moins célèbres Piles intermédiaires, qui m'ont sur ce coup-là devancée de près de deux ans, ce que je trouve un brin gonflé de leur part. Quoi qu'il en soit, cela aurait dû vous mettre la puce à l'oreille, si vos sources de documentation étaient à la hauteur de vos prétentions linguistiques.)

Yorgué, c'est le prénom civil du pape François qui, comme chacun sait à moins d'être privé de moyens d'information depuis des jours, est argentin. En fait, cela s'écrit « Jorge » et se prononce de même, avec un son guttural (la fameuse jota qui se danse chez les Piles susmentionnées) pour le « j » et pour le « g », plus un « r » roulé. Bref, Jorge ne comporte pas de consonne phonétique en commun avec votre cher « Yorgué ».

Ce prénom est familier non seulement à 400 millions de locuteurs natifs dans le monde, mais très probablement aussi à l'un de vos collaborateurs ou stagiaires, que vous pourriez de temps en temps avoir la modestie et la curiosité de consulter. À défaut, on ne vous en voudrait vraiment pas d'appeler François « Georges », tout simplement... Cela vous éviterait de plonger tête baissée dans le ridicule, tout en croyant y échapper et nous en mettre plein la vista.

Même chose pour votre deuxième grand pote : Migouël. Sachez que « Miguel » se prononce « Miguel », soit sensiblement pareil en espagnol qu'en français. Vous aurez beau le mâtiner d'italien de cuisine (car, désolée de vous décevoir, vous ne parlez pas mieux la langue du Giro que celle de la Vuelta et en plus, vous mélangez les deux), il ne grimpera à flanc de Ventoux ni plus ni moins vite.

Signalons l'apparition récurrente d'un troisième larron (ce blog pourrait certes mieux choisir ses mots, mais Sa Sainteté, si elle n'avait que ça à faire, lui accorderait sans doute son pardon). Il s'agit de João. Pour le coup, vous vous donnez souvent du mal pour le prononcer à l'espagnole, celui-là, avec une jota d'enfer. Alors qu'il est de langue portugaise. Or, le portugais présente de remarquables analogies phonétiques avec le français, en particulier une absence de sons gutturaux...

Vous vous cassez décidément la neneta pour nada, amigos périodistes...

 

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*** Non, je ne commenterai pas l'affligeante « traduction » du Notre Père, dont la télévision nous a gratifiés lors de l'apparition de François devant les fidèles réunis place Saint-Pierre. Elle a déjà assez agité certain forum de traducteurs de ma connaissance !

19 décembre 2012

Je traduis, tu traduis, ils traduisent ? (14) Mots voyous

 

 

Ce que vous voyez ci-dessus, c’est une diapo que Maria Marques nous a montrée lors de la dernière Matinale organisée par la délégation Île-de-France de la SFT. Merci, Maria ! Cette séance visait à donner aux traducteurs, notamment les expatriés, des astuces pour garder le lien avec leur langue et leur culture sources.

Pour cela, l'un des moyens trouvés par trois de nos collègues brésiliens, Maria déjà nommée, Evaldo et Cido, consiste à se retrouver une fois par mois afin de discuter, dans leur langue, des questions que leur pose la nôtre. (On est d’accord, à ce stade, ce n’est plus de la conscience professionnelle et de la passion pour notre belle culture, c’est du masochisme.)

La diapo regroupe des exemples de termes, expressions et autres curiosités linguistiques qui donnent particulièrement du fil à retordre à nos trois collègues. Et aussi aux autres traducteurs non francophones car, quand Maria a affiché cette liste, on a entendu un cri du cœur collectif dans la salle, accompagné d’un vague frémissement de compassion chez les autochtones.

Mettons sur la sellette la bande de malfaisants ou du moins de suspects incriminés. On y ajoutera « sillage », dans le contexte parfumeur, qui n’est pas le copain de Cido.

  Dites donc, vous, mots et expressions voyous, c’est pas des manières d’embêter les collègues étrangers. Z’avez pas honte ?

  Hon hon, on n’a rien fait, M’dame. Juré craché, on est innocents. Vous l’avez dit vous-même, on est des mots et des expressions. On n’y peut rien, à ce qu’on fait de nous.

– Admettons. Il est vrai que vous êtes de simples outils. Il suffit de voir votre niveau d'expression quand vous êtes livrés à vous-mêmes, comme maintenant...

Pour ma part, lorsque j’ai affaire à vos homologues anglais ou espagnols, je dégaine la théorie du sens : je pige le texte et le contexte, je passe par une phase d’abstraction où ils n’ont plus la moindre existence puis, réexprimant cette idée, j’atterris dans ma propre langue, où je pioche dans le vocabulaire à ma disposition pour cueillir les plus appropriés de vos congénères. Bref, je ne passe pas directement d’un mot de langue B ou C à un mot en langue A. Sinon, je pondrais de la bouillie pour chats et on m’aurait déjà remplacée depuis longtemps par un ordinateur. (Comment ça, ça se fait déjà ?) Maintenant que je vous ai éclairés sur votre propre mode d’emploi, expliquez-moi pourquoi vous êtes tout de même une plaie pour Maria, Evaldo et Cido.

  Hem. C’est que, pas toujours mais souvent, on nous enrobe dans des sauces qui ne veulent rien dire, justement.

– Je reconnais que la diapo montrée ensuite par Maria, et que j’épargne aux lecteurs de ce blog, était un bel exemple de charabia marketo-communicationnel, avec l’un d’entre vous, le mot « filière », pour instrument principal. Assurément, traduire quelque chose qui ne veut rien dire, c’est ce qu’il y a de plus difficile dans notre boulot. J’en ai croisé aussi, des présentations PowerPoint et des discours de députés européens vides de toute substance. (Autre explication tout à fait envisageable : c’est moi qui suis bouchée. Trop profond pour moi, leur sens m'échappait.) Allez, ça passe pour cette fois, bande de mots et expressions. Circulez ! Mais que je ne vous y reprenne pas à vous pavaner sur les diapos de Maria, hein ?

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Vous connaissez vous aussi une bande de mots qui traînent dans vos textes source et vous causent de régulières sueurs froides ? N’hésitez pas, dénoncez-les ici. Je prendrai leur défense…

Parmi les spécimens présents sur la diapo, on décernera le pompon au dilemme vouvoiement/tutoiement, avec de piteuses excuses, au nom de la communauté francophone, à toute la planète traduisante (hors composante maso), pour lui offrir une aussi inépuisable source de perplexité et d’arrachage de cheveux. Ça ne résoudra pas son problème, mais moi, je serais pour qu’on inverse l’usage du « tu » et du « vous », car je trouve que ce dernier, d'une sonorité bien plus belle à mon goût, mériterait d’être réservé aux êtres les plus proches et les plus aimés.


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Lisez ci-après le commentaire de Caroline, qui a réussi à composer un joli texte avec les mots de la diapo !

 

13 novembre 2012

Marie, mon ciel ! (17) Cloud maîtrisé

Je n’ai pas l’air, comme ça, mais de là où je perche, je suis l’actualité, surtout quand j’entends citer mon nom de famille à tout bout de champ. En ce moment, entre les pubs, la presse et les lettres d’info de groupements professionnels qui feraient bien de se mêler de sujets plus terre-à-terre, ça n’arrête pas : « l’informatique dans les nuages » (1), « votre nuage perso de stockage » (2),« indexation live à travers le Cloud pour catchup TV et VOD en fonction de la diffusion live » (3), « la nuagique » (4)… Et le pompon : « le cloud maîtrisé » ! (5)

 

Pouvez toujours essayer de me maîtriser. Je suis un éthéré, moi, un vrai.

Nuage Abbaye du Val (Small).JPG

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(Soupir) L’Autre Jour décline une fois de plus toute responsabilité quant à l’invasion de ce blog par des formations atmosphériques, qui s'emparent de cette tribune sans y être invitées. Qu’elles préfèrent suivre un mouvement rétrograde plutôt que l'air du temps est sans doute imputable à de capricieux vents d’automne.

 

(1) : Lettre d’information de la Sofia (Société française des intérêts des auteurs de l’écrit), juin 2012, « Connaissez-vous le cloud computing ? »

Cloud computing = l’informatique dans les nuages : « Concept qui consiste à déporter sur des serveurs distants le stockage de documents ou de traitements informatiques, traditionnellement localisés sur des serveurs locaux ou sur les ordinateurs des particuliers. »

(2) + (3) + (5) : pubs

(4) : Tradzine (Bulletin d’information de la SFT, Société française des traducteurs), novembre 2012, article d’Annie Lestrade

 

28 octobre 2012

Mots de travers (12) - Pingouin

¡Che!

Ça m’énerve de voir encore aujourd’hui, à la télé, des documentaires mal traduits de l’anglais au français, dans lesquels on nous présente, mes congénères et moi, sous l’appellation de « pingouins ».

C’est pourquoi je prends la plume (façon de parler, et d’autant plus sur un blog) pour vous expliquer qu'on n'est pas des pingouins mais des manchots. Voilà ma photo :

2012-10-29 Manchot (Small).jpg
                                                                                      © Ernesto Eduardo Martino

On a tous un uniforme assez proche. Donc, avec ça, vous devriez dorénavant nous reconnaître. Pour plus de réalisme, la tenancière de ce blog a failli mettre la photo la tête en bas. Ben oui, on habite tous*** dans l’hémisphère sud. Dans des contrées plutôt froides (paradoxalement, en Terre de Feu, en ce qui me concerne). On s’y est bien adaptés vu qu'on n’en décolle pas. Pas le choix, à vrai dire, puisqu’on ne sait pas voler.

Passons au pingouin, maintenant. Lui, il vit plutôt vers chez vous, de l’autre côté de la planète. Et il vole :

2012-10-29 dessin Pingouin (Small).jpg

Désolé pour la qualité du dessin, collègue. Vous me croyez, maintenant, quand je vous dis que je suis manchot ?

***En fait, il existe des exceptions. Certains de mes frères se sont installés bon gré mal gré dans votre hémisphère. J’ignore s’ils donnent tous dans les fantaisies vestimentaires, comme celui-ci, adepte d'un joli bleu Michou :

2012-01-01 Troca pingouin DSCN5029 (Small).JPG

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La direction de ce blog décline toute responsabilité en cas d'investissement de ces lieux par des espèces animales pas forcément bien embouchées, prêtes à tout (et à n'importe quoi) pour affirmer leur identité se faire remarquer, et qui pis est, considérant le Lecteur comme un consommateur forcené de docus traduits par des pignou... euh... des manch... euh, enfin, mal traduits, quoi.

16 septembre 2012

Mots de travers (11) - « Miraculée »

« Miraculée », c'est ainsi que vous, journalistes — enfin, une partie d'entre vous, car on ne saurait vous mettre tous dans le même sac —, qualifiez une petite fille restée pendant des heures sous les cadavres de ses proches massacrés. Cette « chance exceptionnelle », pour reprendre les termes du Larousse, va foutre en l'air toute l'existence de cette enfant. Des miracles comme ça, on n'en souhaiterait pas à son pire ennemi.

Vous devriez choisir vos mots de façon un peu plus raisonnée et surtout moins putesque. Vous aviez à votre disposition « survivante » ou « rescapée », pour cette petite comme pour sa sœur, grièvement blessée et témoin de l'horreur.

À la radio de service public, vous avez renoncé depuis quelques jours à nous abreuver de cet adjectif, sans doute à la suite d'une avalanche de protestations d'auditeurs indignés. Dans la presse écrite, vous persistez lourdement (c'est ça, « le poids des mots» ?), au point que, ne pouvant écrire à tous vos journaux individuellement, je me contente de m'exprimer ici.

J'ai honte pour vous.

30 juillet 2012

Mots de travers (10) - Épice au masculin

L’autre jour, j’ai encore vu le mot « épice » utilisé au masculin, sur la présentation d’un restaurant. Ce curieux glissement me paraît de plus en plus fréquent. Vous l’avez remarqué aussi ? Je me demande si c’est sous l’influence de certaines œuvres de science-fiction. Pourtant, il me semble que dans Dune, « épice » est bien au féminin ? Les spécialistes confirmeront, infirmeront ou nous donneront peut-être des explications !

Quelques autres jours après, j’entendais parler « épices », et cette fois, bien au féminin. En l'occurrence, par quelqu’un pour qui le genre de ce mot n'était sans doute pas ce qui comptait le plus, c’est pourquoi je ne lui ai pas posé la question. C’était pourtant en présence d’une assemblée de traducteurs – à grosse majorité de traductrices –, individus particulièrement sensibles à ces détails linguistiques que d'autres croient aussi infimes qu’un grain de poudre de safran.

C’était lors de la dernière Journée de printemps, organisée chaque printemps année à Paris par Atlas

2012-06-16 Journée de printemps (Small).jpg

La Journée de printemps, c’est une suite d’animations autour d’un thème, cette année « Le traducteur à ses fourneaux ». La dame qui nous faisait saliver dès la conférence d’ouverture était une magicienne du nom de Fatema Hal, fondatrice du restaurant Le Mansouria et autrice de plusieurs livres sur la cuisine.

Je me suis tellement régalée à l’écouter que j’ai conservé quelques bribes de ses paroles. Ce joli grain de sel, par exemple, pour nous inciter à ne pas déverser tout le contenu du poivrier dans le tagine :

« Les épices doivent se comparer à une danse et non à une transe. »

Et un rapprochement frappant auquel je n’avais jamais songé : elle disait qu’aux émigrés, aux déracinés, il ne reste souvent que le langage – celui du parler, et celui du manger.

Ça vous donne des regrets d’avoir loupé la Journée, hein ?

Outre le buffet de midi et de belles lectures en fin d'après-midi (je passe sur les after), vous avez aussi raté de succulents ateliers de traduction. Mon acolyte Frédéric et moi nous sommes amusés comme marmitons en garde-manger à traduire des recettes du japonais. Cette langue nous est pourtant totalement inconnue, de même qu'à la plupart des participants de l’atelier. Les animateurs, Ryoko Sekiguchi et Patrick Honnoré, nous ont aussi livré une subtile réflexion sur la notion d’astringence.

Vous vous demandez comment on peut bien « traduire » une langue à laquelle on ne comprend goutte ? Venez l’an prochain…