20 février 2013
Je traduis, tu traduis, ils traduisent ? (15) l'écran
Vous en avez assez, des pages FesseBeurk et de leurs infos superficielles, où l'expression se résume à « amifier/désamifier » ?
Parmi les blogs, rares sont ceux qui apaisent votre fringale de connaissances, et ce ne sont pas les galéjades de L'Autre Jour qui vont la rassasier ?
Quant à la presse, vous trouvez qu'elle ne vous sert le plus souvent qu'une apologie des fansubbers et autres pirates ?
Vous voulez du lourd, de l'approfondi, du documenté, du travaillé, de l'écrit ?
Sur votre sujet préféré, la traduction en général, et la traduction audiovisuelle en particulier ?
Bref, vous en rêviez, ils l'ont fait.
Qui ? Les quelques collègues de l'ATAA composant son comité de rédaction.
Quoi ? La revue L'Écran traduit.
Quand ? Dès aujourd'hui (je triche à quelques heures près). Normal, on est mercredi, jour de sortie pour le ciné.
Où ? Sur vos écrans (d'ordi).
Comment ? À la sueur du front d'une poignée d'érudits passionnés, qui viennent de passer quelques nuits blanches à mettre du noir et de la couleur sur l'écran en question.
Belle vie à toi, jeune revue, et bravo à tes rédacteurs !
Ils ont dit « Faites tourner », alors, ne nous en privons pas :)
14:16 Publié dans Je traduis, tu traduis..., Ronronnements de satisfaction | Commentaires (0) | Lien permanent
19 décembre 2012
Je traduis, tu traduis, ils traduisent ? (14) Mots voyous
Ce que vous voyez ci-dessus, c’est une diapo que Maria Marques nous a montrée lors de la dernière Matinale organisée par la délégation Île-de-France de la SFT. Merci, Maria ! Cette séance visait à donner aux traducteurs, notamment les expatriés, des astuces pour garder le lien avec leur langue et leur culture sources.
Pour cela, l'un des moyens trouvés par trois de nos collègues brésiliens, Maria déjà nommée, Evaldo et Cido, consiste à se retrouver une fois par mois afin de discuter, dans leur langue, des questions que leur pose la nôtre. (On est d’accord, à ce stade, ce n’est plus de la conscience professionnelle et de la passion pour notre belle culture, c’est du masochisme.)
La diapo regroupe des exemples de termes, expressions et autres curiosités linguistiques qui donnent particulièrement du fil à retordre à nos trois collègues. Et aussi aux autres traducteurs non francophones car, quand Maria a affiché cette liste, on a entendu un cri du cœur collectif dans la salle, accompagné d’un vague frémissement de compassion chez les autochtones.
Mettons sur la sellette la bande de malfaisants ou du moins de suspects incriminés. On y ajoutera « sillage », dans le contexte parfumeur, qui n’est pas le copain de Cido.
– Dites donc, vous, mots et expressions voyous, c’est pas des manières d’embêter les collègues étrangers. Z’avez pas honte ?
– Hon hon, on n’a rien fait, M’dame. Juré craché, on est innocents. Vous l’avez dit vous-même, on est des mots et des expressions. On n’y peut rien, à ce qu’on fait de nous.
– Admettons. Il est vrai que vous êtes de simples outils. Il suffit de voir votre niveau d'expression quand vous êtes livrés à vous-mêmes, comme maintenant...
Pour ma part, lorsque j’ai affaire à vos homologues anglais ou espagnols, je dégaine la théorie du sens : je pige le texte et le contexte, je passe par une phase d’abstraction où ils n’ont plus la moindre existence puis, réexprimant cette idée, j’atterris dans ma propre langue, où je pioche dans le vocabulaire à ma disposition pour cueillir les plus appropriés de vos congénères. Bref, je ne passe pas directement d’un mot de langue B ou C à un mot en langue A. Sinon, je pondrais de la bouillie pour chats et on m’aurait déjà remplacée depuis longtemps par un ordinateur. (Comment ça, ça se fait déjà ?) Maintenant que je vous ai éclairés sur votre propre mode d’emploi, expliquez-moi pourquoi vous êtes tout de même une plaie pour Maria, Evaldo et Cido.
– Hem. C’est que, pas toujours mais souvent, on nous enrobe dans des sauces qui ne veulent rien dire, justement.
– Je reconnais que la diapo montrée ensuite par Maria, et que j’épargne aux lecteurs de ce blog, était un bel exemple de charabia marketo-communicationnel, avec l’un d’entre vous, le mot « filière », pour instrument principal. Assurément, traduire quelque chose qui ne veut rien dire, c’est ce qu’il y a de plus difficile dans notre boulot. J’en ai croisé aussi, des présentations PowerPoint et des discours de députés européens vides de toute substance. (Autre explication tout à fait envisageable : c’est moi qui suis bouchée. Trop profond pour moi, leur sens m'échappait.) Allez, ça passe pour cette fois, bande de mots et expressions. Circulez ! Mais que je ne vous y reprenne pas à vous pavaner sur les diapos de Maria, hein ?
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Vous connaissez vous aussi une bande de mots qui traînent dans vos textes source et vous causent de régulières sueurs froides ? N’hésitez pas, dénoncez-les ici. Je prendrai leur défense…
Parmi les spécimens présents sur la diapo, on décernera le pompon au dilemme vouvoiement/tutoiement, avec de piteuses excuses, au nom de la communauté francophone, à toute la planète traduisante (hors composante maso), pour lui offrir une aussi inépuisable source de perplexité et d’arrachage de cheveux. Ça ne résoudra pas son problème, mais moi, je serais pour qu’on inverse l’usage du « tu » et du « vous », car je trouve que ce dernier, d'une sonorité bien plus belle à mon goût, mériterait d’être réservé aux êtres les plus proches et les plus aimés.
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Lisez ci-après le commentaire de Caroline, qui a réussi à composer un joli texte avec les mots de la diapo !
00:39 Publié dans Je traduis, tu traduis..., La chronique de Vocale Hubert, Mots de travers | Commentaires (6) | Lien permanent
05 décembre 2012
Conseils à un jeune traducteur inexpérimenté (7) - S'informer à l'aide de précieuses brochures
Autre suggestion de titre : Brochures en veux-tu, en voilà
— Chère faignasse patentée, cher djeunz né fatigué, cher éleveur de poils dans la main,
Cher Jeune Collègue,
Je te vois d’ici, tu te les roules dans ton canapé, au lieu de profiter de cette période de chômage technique pour PROSPECTER.
— Tu fantasmes, mémé. Je me les roule pas. Dans le cadre du redéploiement audiovisuel de mon activité, je sue d’arrache-pied sur l’analyse filmique d’une série télé. J’y peux rien si j’habite dans 16 m², que mon ordi, c’est ma télé (et vice versa) et que mon siège de bureau, c'est un convertible, qui me sert accessoirement de lit.
« Je sue d’arrache-pied. » Avec des télescopages pareils,
ce blanc-bec n’a décidément aucun avenir
dans la profession.
« Analyse filmique »… L’insolent se paie ma tête,
quand, par-dessus le marché, il ne bricole pas des sous-titres
avec les moyens du bord pour les mettre en ligne
de façon tout à fait illégale.
— Ouais, c’est ça. Et moi, si je m’assoupis d’un œil après déjeuner devant Derrick, je fais de l’analyse filmique, aussi, peut-être ?
— Nan, toi, là, tu frises l’implosion de neurone, à cause de l’effort de concentration. Tandis que moa, je m’imprègne de la culture de ma langue source. Et accessoirement, je teste un logiciel de sous-titrage. Va pas t’imaginer que je donne dans le fansubbing, hein. J’apprends, c'est tout. Pas mon genre de violer le droit d’auteur des collègues.
— Balivernes. Tu gagnerais bien mieux à te documenter sur tes conditions d’exercice, puisque, et je n’en démordrai pas malgré le boniment que tu me sers, oisif tu es.
— Pour occuper utilement mes moments de creux en consultant la doc, pas attendue je t’ai, Yodadmèdeux.
C’est ouf, elle croit toujours avoir inventé le fil
à couper l’eau tiède, la pré-retraitée.
— Sais-tu seulement que la précieuse brochure de la SFT, Traduction, faire les bons choix, est désormais disponible en plusieurs langues, dont l'espagnol ? Tu peux la communiquer à tes clients ! Il y a aussi une brochure pour l’interprétation, et une autre qui s’intitule Traduction, les mots au kilo ?
Ça y est, vlà l’ancêtre qui distribue des flyers, maintenant.
— Bah ouais, je sais. Même que j’ai proposé mes services à la TFS pour Choix bons les faire, Tionductra, la sionver en verlan.
— Et celle de l’ATAA, as-tu vu celle de l’ATAA : Faire adapter une œuvre audiovisuelle, toi qui te gaves de séries télé en espérant plonger tête baissée dans le miroir aux alouettes, je veux dire, en espérant les traduire un jour ?!
Soupir.
— Oui, j’ai vu celle de l’ATAA. Et, oui, je sais que si elles ont un air de famille, c’est voulu ! Pas la peine de me parler de la coopération entre syndicats ou associations de traducteurs. Tu péchorais un convaincu, comme tu dis dans ta tchatche moyenâgeuse.
— On ne dit pas « péchorer », produit analphabète de notre société laxiste. On dit « prendre dans ses rets ». D’ailleurs, moi-même, pas plus tard qu’il y a vingt-cinq ans, je remportais de beaux succès…
— Laisse tomber, j’entends pas, chuis sous le casque.
— Tu ferais bien de t’inspirer de ces magnifiques brochures, pour le fond comme pour la tenue de l’écriture, être mal dégrossi. Il est vrai que tu es paraît-il un rejeton de la génération de l’image. Je présume que ces pourtant passionnantes brochures à fort contenu textuel te passent complètement au-dessus.
Dans mon infinie bonté, j’en tiens une autre à ta disposition, sur papier. Elle ne traite pas directement de traduction mais, éditée par le Groupement des auteurs de bande dessinée du SNAC, elle comporte de nombreuses informations relatives au droit d’auteur en général, et même un lexique de la reddition de comptes. Elle devrait être à ta portée car elle contient d’amusantes illustrations. Je t'autorise à venir la consulter dans mon modeste triplex.
— Te fatigue pas à m’attirer dans ta bonbonnière dans le vain espoir de me harceler sessuellement, maman. Elle est en ligne, ta brochure des auteurs de bédédusnac. Ouais, trop marrants, les dessins. Je te reconnais, en page 31 (à droite). La moustache en moins.
— Tu as encore consommé des substances illégales, petit confrère. Ce malheureux auteur blanchi sous le harnais, qui se voit réduit à brader son œuvre faute de toucher une retraite convenable, n’a pas de moustache.
— C’est bien ce que je disais.
— Une autre brochure, éditée par la Charte des auteurs et des illustateurs jeunesse, est agrémentée de jolis dessins en couleur, tout aussi désopilants. Elle pourrait également t’extirper de ta crasse, toi qui t’obstines à vouloir mettre un pied dans la traduction d’édition en me soutenant que les contrats, c’est bon pour les tueurs à gages. Ne me dis pas qu’elle est en ligne.
— Bien sûr que si, Le contrat d'édition al dente est en ligne ! Ils sont modernes, à la Charte, ils écrivent pour les djeunz. Tu peux pas comprendre.
— Et cette autre brochure rigolote de la Charte, avec un éditeur contrefait en dragon ?***
— Idem. (T’as vu, j’ai fait latin 5e langue !) En cherchant 2 secondes oPid en main, on trouve Le contrat dont vous êtes le héros sur le ouèbe. Le PDF ne devrait pas tarder à figurer parmi les autres brochures téléchargeables sur le site de la Charte. C'est sûr qu'un traducteur y apprend plein de trucs, même si c'est pas fait directement pour lui.
Vivement que le droit à la formation des auteurs
soit vraiment entré dans les faits.
Mamie, elle doit encore croire qu’une souris,
c’est un rongeur. Et je vois d’ici les taches
de Tip-Ex sur son écran.
Tiens, faudra que je lui avoue que la dernière fois
où elle a tenté de me coincer dans son boudoir,
j’en ai profité pour activer sa Webcam.
Depuis, on rigole à l'a-mater, avec des potes a-mateurs d'archéologie.
La peste soit du morveux né avec une clé USB dans le fondem... la bouche.
Quelle chance pour lui que je me sois penchée,
telle une fée, sur son berceau.
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*** Note de l'Autre Jour :
Il est regrettable que cette brochure mette à mal un innocent dragon, embauché une fois de plus pour jouer le méchant, face au gentil pourfendeur, alias auteur, en l’occurrence. On n’en voudra cependant pas à la Charte d’avoir perpétué ce mythe pour la bonne cause. Elle devrait juste lire plus souvent la rubrique Sauvons les dragons de ce blog.
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Liens (oui, contrairement à certains autres blog ou sites, heureusement minoritaires, L'Autre Jour cite ses sources et ne donne pas à croire que son autrice est également celle des brochures reproduites) :
SFT - Société française des traducteurs
ATAA - Association des traducteurs-adaptateurs de l'audiovisuel
ASETRAD - Asociación española de traductores, correctores e intérpretes
Groupement des auteurs de BD du SNAC
Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse
Bravo et merci à leurs auteurs !
23:33 Publié dans Conseils à un jeune traducteur inexpérimenté, Je traduis, tu traduis... | Commentaires (4) | Lien permanent
07 novembre 2012
On recherche
- La traduction des proverbes (français-arabe)
- Le traducteur en tant que médiateur culturel. L'exemple de Rifâ'a Tahtawi.
- La traduction de l'essai littéraire
- La cotraduction
- La métaphore en traduction
- Traduire la philosophie, quelque part dans l'inachevé : Descartes et ses objecteurs traduits en langue espagnole.
- Le processus de l'interprétation en langue des signes
- Traduction et musique : la comédie musicale
Voilà. Quelques sujets de thèses, parmi d'autres. Où ça, où ça ?! À l'ÉSIT (École supérieure d'interprètes et de traducteurs, Paris III-Sorbonne Nouvelle). Eh oui, on y fait aussi de la recherche.
23:58 Publié dans À travers mots, Je traduis, tu traduis... | Commentaires (0) | Lien permanent
06 novembre 2012
Conseils à un jeune traducteur inexpérimenté (6) - Copier-coller avec pertinence
Cher petit, loupiot, lardon, nouveau-né Jeune Collègue Inexpérimenté,
Je souhaite aujourd’hui te mettre en garde contre une solution de facilité bien tentante. On te donne un texte où certains mots – des noms géographiques, par exemple –, reviennent fréquemment. « Qu’à cela ne tienne, te dis-tu, toujours prêt à l’astuce et à l’initiative qui te permettront de gagner du temps... Utiliserai-je mon logiciel de TAO*** favori, sur ce livre ? Peut-être pas. Mon rusé éditeur risquerait de se rendre compte d’un style disons un peu… mécanique. Je m’en vais traduire ces noms, puis je n’aurai plus qu’à les rechercher-remplacer partout dans le texte. Et le tour sera joué. »
Emporté par ton enthousiasme à l’idée de faire monter ta productivité en flèche, et plutôt que d’utiliser ton habile stratagème avec prudence et discernement en dégainant ton Rechercher-Remplacer occurrence par occurrence, tu choisis l’option Rechercher-Remplacer tout.
Exemple (vécu) de conséquences : supposons que ton bouquin fasse souvent allusion à un grand pays ami d’Outre-Atlantique. Tu traduis consciencieusement « USA » – c’est tout à ton honneur –, par « États-Unis ». Hop, trois clics et voilà le grand pays ami recherché-remplacé sur 300 pages. Tu oublies un détail, cher jeune collègue, une petite occurrence de rien du tout, surtout si tu ne te relis pas autant que je t'exhorte à le faire. Dans le meilleur des cas, ce détail va laisser perplexe le correcteur, qui te signalera le bug. Au pire, si le correcteur est distrait ou inexistant, l’erreur passera à l’as. Et alors, comme il est aussi question dans cet ouvrage de divers médiums artistiques (aquarelle, pastel, etc.), l’éditeur vendra un bouquin dans lequel sont décrites des œuvres dessinées au fÉtats-Unisin…
Comment ça, « Quand tu dis “exemple vécu”, ô mon Aînée, faut-il entendre “bourde commise par toi” ? » ? [Oui, il m’appelle respectueusement comme ça et je n’ose lui faire comprendre que « néné » est à la fois d'une familiarité suspecte et un peu trop proche de « mémé », pour mon goût.] Bien sûr que non, jeune insolent.
Tu essaies de rattraper l'offense, tout en lavant ton propre honneur blessé : « Tu me sous-estimes, traductrice vénérée mais chenue au point de friser la sénilité. Comment peux-tu me croire assez sot pour me laisser aller à des bévues pareilles ? » [On notera que je traduis le langage de mon estimé Jeune Collègue, de façon qu’il soit présentable sur ce blog de haute tenue. Sans quoi, ses propos seraient tellement caviardés que le Lecteur aurait du mal à les décrypter.]
Tu as raison, cher Jeune Collègue. Ce n’est pas forcément chez d'humbles débutants qu’on les observe, les Rechercher-Remplacer ravageurs et les dégâts du Traduire par copier-coller.
***TAO : traduction assistée par ordinateur
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Ah, et puis, tant que j'y suis : quand tu circules à vélo, te croyant hors de danger parce que tu as sur la tête le casque offert par tes parents à Noël, ne trimbale pas ton antivol dans un sac à dos. En cas de chute, qui autrement pourrait être bénigne, tu risques de graves lésions de la colonne vertébrale et de rester paralysé à vie. Ou mort à mort.
20 octobre 2012
Lettre à un resté
Cher Téléspectateur du service public, cher alter ego audiovisuel,
J’ai le regret de te dire que tu es un resté.
En choisissant de regarder un documentaire plutôt qu’une autre émission, tu espères t’instruire et te divertir à la fois. Tu penses que les chaînes qui portent le nom de ton pays, suivi d’un numéro, sont immanquablement fidèles à une réputation d’excellence. Friand de nature, de techniques ou d’histoire, tu crois que tu vas pouvoir approfondir tes connaissances dans ces domaines et dans d'autres, t’étonner, t’émerveiller face à des images soutenues par un commentaire de haut niveau, qui fera honneur à ta belle langue.
Ben non. Enfin, pas toujours. Pourquoi ? Parce que certains des intermédiaires situés entre les auteurs de documentaires et toi – je veux dire au sein des chaînes de service public ou chez leurs prestataires – ont décrété que tu n’avais que des aptitudes et un vocabulaire limités.
Par exemple, supposons que le documentaire que tu as choisi de regarder ce soir vienne de l’étranger. Il a été traduit. Enfin… « adapté ». Le malheureux individu chargé d'adapter le commentaire en français s’est vu intimer l’ordre de niveler toute originalité dans le style de l’auteur. En outre, à coups d’instructions aussi péremptoires que nébuleuses (et contradictoires, car les donneurs d'ordre n'ont manifestement pas vu le documentaire), on lui a fait comprendre que tu n’étais pas censé avoir plus de cent mots à ta disposition. Par exemple, il sait d’avance que s’il écrit « demeurer », l’un des intermédiaires évoqués plus haut va aussi sec le remplacer par « rester ». (À croire que le bougre de traducteur le fait exprès, juste pour voir si ses prévisions se confirment.) Car « demeurer », c’est d’un niveau inaccessible pour toi. Et puis, trois syllabes, c’est trop long pour ta comprenette.
Tout est à l’avenant. Les notions scientifiques ou techniques contenues dans le film sont nivelées elles aussi par les brillants esprits qui se chargent de réviser la copie du bougre. Au point que le malheureux traducteur, en regardant le documentaire à la télé, comme toi, reconnaîtra parfois à peine le texte qu’il signe au générique. Et que l’auteur du documentaire, s’il voyait cela lui aussi et comprenait le français, ne reconnaîtrait pas son bébé. Qu'y pourrait-il ? Sans doute pas grand-chose, depuis son pays.
Dans le numéro 40 d’Astérisque, La Lettre de la Scam, Geneviève Guicheney, journaliste, signait un article intitulé J’aimerais tant que le service public… Médiatrice du Groupe France Télévisions de 1998 à 2004, elle y évoquait ce rôle et terminait par ceci : « La plainte majuscule des téléspectateurs exprimée à longueur de courriers se résume à une phrase : “Vous nous prenez pour des imbéciles”. En cela au moins la télévision n’échappe pas à son époque. »
Merci à elle et à la toujours précieuse Scam (Société civile des auteurs multimédia). Si elles et les téléspectateurs pouvaient être entendus !
« Le documentaire n'est pas un sujet, mais une œuvre
qui marie une connaissance ou une expérience à une vision. »
Extrait du Manifeste pour le Documentaire, publié en 2012
par France Télévisions et cité par Jean-Xavier de Lestrade,
président de la Scam, dans l'éditorial du n° 42 d'Astérisque.
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