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30 novembre 2012

Esclaves oubliés

Quelque part ailleurs sur ce site, je déplore n’avoir jamais vu annoncer dans les programmes télévisés la diffusion d’un documentaire au sujet tragiquement instructif. Peut-être l’a-t-il été au moins sur France Ô ? Aucune idée. Nulle trace à ce jour dans les bases de données. Je comprends maintenant que cet exemple n’est peut-être ni un hasard ni un cas isolé.

L’autre jour, Sylvia et Daniel, que je remercie, m’ont emmenée au théâtre. Pour une fois, je n’attends pas que la pièce soit terminée pour vous signaler qu’elle est à l’affiche à Paris jusqu'au 15 décembre, au Tarmac :

L'affaire de l'esclave Furcy

de Mohammed Aïssaoui

Pièce mise en scène et jouée par Hassane Kassi Kouyaté

Coup de chance, en complément de l’adaptation théâtrale, nous avons eu droit après la représentation à un entretien avec l’auteur du livre dont est tirée la pièce. Pour l'écrire, il a mené une longue enquête, notamment à la Réunion, où se sont déroulés les faits qu'il relate.

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Mohammed Aïssaoui
L'Affaire de l'esclave Furcy
Gallimard
Collection Folio
2010

 

Mohammed Aïssaoui a évoqué pour nous les difficultés rencontrées lors de ses recherches pour retracer l’injustice commise contre Furcy, qui mit des années à faire reconnaître sa qualité d’homme libre par la justice française et en passa une grande partie en prison. Une histoire occultée, personne n’ayant envie de la connaître.

« L’histoire de l’esclavage est une histoire sans archives. », dit l'auteur dans les Cahiers du Tarmac. Les descendants des esclaves ont toutes les peines du monde à établir leur généalogie et pourtant, les actes de vente et de succession ne manquaient pas, où leurs ancêtres étaient consignés tels des meubles. Quand des archives subsistent, leur valeur est méprisée. Comme si on continuait aujourd’hui à refuser une identité aux esclaves oubliés. Retrouver ne serait-ce qu’une date de naissance est un parcours du combattant.

 

Il semble en être coutumier, des parcours du combattant, Mohammed Aïssaoui, qui s’est attaqué à une autre « quête », selon son propre terme, tout aussi semée d’embûches : tenter de retrouver des cas où, pendant l’Occupation, de membres de la communauté musulmane ont sauvé des Juifs des persécutions nazies. Identifier les rares témoins encore existants, affronter des réticences soucieuses de composer avec la montée en force de l’obscurantisme, avoir l’honnêteté intellectuelle de ne pas fabriquer de légendes, avoir le courage de ne pas tomber dans l’idéalisation.

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Mohammed Aïssaoui
L'Étoile jaune et le Croissant
Gallimard
Hors-série littérature
2012

 

Pas mal, comme programme de sortie et de lectures, hein ?

 

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Avec un titre pareil, vous pensiez ce billet consacré à la condition du traducteur ? Eh non. Pourtant, des esclaves (façon de parler, évidemment, par rapport à ce qui précède), y compris par « choix », on en trouve... Merci à Caroline, qui m’a communiqué le lien car elle est partageuse et ne voulait pas être seule à se faire du mal.

06 novembre 2012

Sauvons les dragons (5)

 Et voilà, ses crises de dragonnite aiguë la reprennent.

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Ce blog est un plagiaire et cette rubrique un plagiat (vil, comme il se doit), car tout a déjà été dit, en mieux, sous le même titre :

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Sauvons les dragons !

Willis Hall

Traduit de l’anglais par Hervé Zitvogel
Illustré par Fabien Mense
Titre original : Dragon Days
Castor Poche, 2011

 

Extrait, page 161 :

« Tuons-le d’abord, nous réfléchirons ensuite. »

Quand je vous disais que tout avait déjà été dit.

Ces fines paroles sont celles d’un type en armure, évidemment. Haut placé. Je ne vous en dis pas plus sur son identité. Les représailles pourraient être rudes, même à travers les siècles, et je ne tiens pas à être pourfendue, moi. Car de même qu’on peut remonter le temps, comme le livre le prouve, la brute dont la couronne n'ôte rien à l'épaisseur n’aurait peut-être pas de mal à le descendre, le temps, lance au poing, pour m’occire façon dragon… « Que le diable te patafiole ! », me risqué-je quand même à lui brailler d’ici, avec la témérité qui me caractérise autant que le goût du (vil) plagiat, puisque cette phrase haute en couleur est extraite des dialogues, bien entendu.

Seul un célèbre enchanteur – dont la sagesse a parfois des failles, sans quoi cette histoire n’aurait pas existé – sait à quoi s’en tenir quant aux malheureux cracheurs de feu et brave la royale autorité pour prendre leur défense (page 96) :

« Ils sont bonasses. C’est dans leur nature. »

Ça, c’est pour le fond. Pour la forme, ce roman, bien qu’il s’adresse à un public âgé de seulement 8 ans et plus (enfin, à moi, quoi), ne le prend pas pour un ramassis de décérébrés, contrairement à une tendance plutôt dans l’air du temps. Loin de lui limiter le vocabulaire, il emploie même des mots ou expressions que j’ignorais, malgré mes 11 ans et demi bien tassés : « homme lige », « à votre obéissance, sire », vous connaissiez, vous ?

Et quand, page 25, il est question de fish and chips, il vous sert une ration de frites et poisson, lui. Pas une mixture. On ne lui en voudra cependant pas d’avoir traduit banana split par « banana-split », à ce bon livre à mettre entre toutes les mains des amis de dragons, vu qu’un banana-split, c’est un banana-split. Mes hommages, messire Traducteur.

Et puis, il est joliment illustré. Au point qu’on regrette une fois encore d’être privée d'images, dans la plupart des bouquins pour public âgé de beaucoup plus de 8 ans. Voilà un vieux coup dur dont on ne s’est toujours pas remise, la disparition soudaine des illustrations dans les livres, une fois la dernière Bibliothèque verte refermée. C’est pas mignon, ce détail en bas de page, même si ce n’est pas un dragon ?:

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Merci à Rose-Marie Vassallo, toujours plus experte ès dragonneries en tout genre, qui m’a offert Sauvons les dragons ! Inutile de me supplier, Lecteurs jaloux. Pas question que je le prête, celui-là. Comment ça, Rose-Marie, tu me l'as donné pour le petit cousin dévoreur de livres dont je t'ai parlé ? Je t'ai parlé d'un petit cousin, moi ?

31 octobre 2012

Le vieux qui...

... ne voulait pas fêter son anniversaire.

Dans ce livre, les chapitres qui racontent l’équipée sauvage d’un centenaire rebelle et d’un ramassis de personnages aussi loufoques que lui alternent avec d’autres, qui relatent cent ans de farce historique et planétaire, au gré des tribulations du héros. Rien que pour les deux extraits suivants, je trouve qu’il vaut le détour. Mais peut-être vous et moi ne rions-nous pas des mêmes choses (test : si la couverture du bouquin vous laisse de marbre, c'est mal parti) :

Page 77

Alan trouvait incompréhensible que les gens aient eu envie de s'entretuer au XVIIe siècle. S'ils avaient patienté un peu, ils seraient morts de toute manière.

Page 445

— Tu as traversé l'Himalaya, toi ? À cent ans ?

— Non, je ne suis pas fou, quand même. Vous savez, monsieur le procureur, je n'ai pas toujours eu cent ans. C'est même assez récent.

En plus, ce bouquin désopilant contient un passage où apparaît un interprète, en pages 397-398 : 

La garde rapprochée du président avait fait preuve d'un zèle particulier en contrôlant l'interprète barbu et chevelu de Madame l'ambassadeur d'Indonésie. Mais ses papiers étaient en règle et il n'était pas armé. En outre, l'ambassadeur – une femme ! – se portait garant de lui. Le barbu eut donc sa place à table lui aussi, entre un très décoratif interprète américain et le jeune traducteur français qui était sa copie conforme.

Ce fut le barbu indonésien qui eut le plus de travail. Les présidents Johnson et de Gaulle posaient des questions à l'ambassadrice au lieu de se parler mutuellement.

Le président de Gaule commença par demander à Amanda Einstein quel avait été son parcours professionnel. Amanda répondit qu'en fait, elle était totalement stupide et qu'elle était devenue gouverneur de Bali en versant des pots-de-vin, après quoi elle avait gagné les élections deux fois de suite en graissant la patte aux uns et aux autres. Elle raconta qu'elle avait bien profité des avantages du job avec toute sa famille pendant toutes ces années, jusqu'à ce que le nouveau président Suharto l’appelle tout à coup pour lui proposer le poste d'ambassadeur d'Indonésie à Paris.

– Je ne le savais même pas où se trouvait Paris et je croyais que c'était un pays et pas une ville ! s'exclama Amanda Einstein en riant.

Elle avait dit tout cela dans sa langue natale et l'interprète barbu et très chevelu avait traduit en anglais. Il avait fait bien attention, évidemment, de presque tout censurer au passage.

Quand le déjeuner se termina, les deux présidents étaient enfin d'accord sur un point. Tout deux trouvaient l'ambassadeur Amanda Einstein à la fois amusante, cultivée, intéressante et intelligente, bien qu'elle manquât de goût pour choisir ses interprètes, car celui-là avait vraiment l'air d'un sauvage.

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Jonas Jonasson


Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire


Traduit (avec talent et ce n'est pas du copinage car je ne connais pas cette dame) du suédois par Caroline Berg


Éditions Presse de la Cité
Pocket
- 2011


Photo
© T. Archibald / Getty Images
Couverture : Stanislas Zygart


Merci à Sylvia qui me l'a offert.

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Oui, on peut estimer qu'une traduction du suédois est bonne, même si on ne parle pas suédois.

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Hé hé, pendant tout le livre, je me suis dit que ça ferait un scénario d'enfer, à condition d'y mettre le prix (ou de faire l'impasse sur la moitié des chapitres). Et je vois maintenant que le roman va être adapté au cinéma. Espérons que le résultat sera réussi.

03 juin 2012

Je traduis, tu traduis, ils traduisent ? (8) Ou ils font autre chose...

C'est beau, le monde virtuel des forums, on s'y fait des amis (enfin pas forcément que des amis, mais bon). Qu'on ne rencontre parfois de visu qu'après des années de correspondance tout aussi virtuelle.

J'aime bien ces relations épistolaires modernes. On connaît ses collègues-amis bien mieux que si on était avec eux dans un bureau toute la journée et seulement sous leur meilleur jour (et – hem – vice versa, surtout). Car on ne se prend jamais de bec*** sous prétexte que l'un a piqué son agrafeuse à l'autre...


Quand ils ne traduisent pas, certains s'adonnent à de curieuses occupations. Écrire, par exemple. Et, par exemple encore, écrire de petits textes qui passent à la radio !

Alors, ça me fait plaisir de vous aiguiller vers ce poème-musique de Nathalie, diffusé sur France Musique dans l'émission de Véronique Sauger, Contes du jour et de la nuit.

 

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*** Digression :

Les dicos, contrariants et ligués contre la logique,
m'interdisent d'écrire « prise de becs » au pluriel.
Contrariants, je vous dis.

07 mai 2012

Je traduis, tu traduis... (6) Traducir el silencio

El verdadero problema para un traductor – dijó al final – no es la distancia entre los idiomas o los mundos, no es la jerga ni la indefinición ni la música; el verdadero problema es el silencio de una lengua – y no me molestaré en atacar a los imbéciles que creen que un texto es más valioso cuánto más frágil y menos traducible, a los que creen que los libros son objetos de cristal –, porque todo lo demás puede ser traducido, pero no el modo en que una obra calla; de eso – dijo –no hay traducción posible.

Pablo de Santis
La traducción
Ediciones Destino
Barcelone, 1999
Pages 100-101

Je me suis amusée à traduire cet extrait :

Le vrai problème pour un traducteur, dit-il enfin, n’est pas la distance entre les langues ou les mondes. Ce n’est ni l’argot, ni l’indéfini, ni la musique. Le vrai problème, c’est le silence d’une langue – et je ne perdrai pas mon temps à m’en prendre aux imbéciles selon qui un texte a d’autant plus de valeur qu’il est plus fragile et moins traduisible, ceux qui croient que les livres sont des objets de cristal –, car tout peut se traduire, sauf la façon dont une œuvre se tait. De cela, dit-il, il n’y a pas de traduction possible.

Traduction par René Solis :

Le véritable problème pour un traducteur, dit-il finalement, n’est pas la distance entre les langues ou les mondes, ce n’est pas le charabia, le flou ou la musique ; le véritable problème, c’est le silence d’une langue – et je ne perdrai pas mon temps à attaquer les imbéciles qui croient que la valeur d’un texte se mesure à sa fragilité ou à sa difficulté à traduire, ou ceux qui pensent que les livres sont des objets de cristal –, car tout peut être traduit, excepté la façon dont une œuvre se tait ; et pour cela, il n’existe aucune traduction possible.

Pablo de Santis
La Traduction
Traduit de l’espagnol (Argentine) par René Solis
Métailié, 2000
Page 72

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À méditer... en silence.

Mais lisez aussi le reste, pour le suspens, en plus de la réflexion sur la traduction !

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Il existe un bon nombre de livres où apparaissent des traducteurs, de manière plus ou moins fugace. On en trouvera certains sur le site de l’ATLF. Et les heureux Anciens de l’Esit ont régulièrement droit, dans leur Bulletin trimestriel, à une chronique littéraire tenue par notre consœur Sylvie Escat, sur des ouvrages dans lesquels interviennent traducteurs ou interprètes.

Celui de Pablo de Santis est l'un de mes préférés.

19 mars 2012

Mots appris (6) - Agelaste

« Agelaste », c’est un mot de Rabelais désignant quelqu’un qui ne sait pas rire.

De Rabelais, j’avais bien retenu « rataconniculer », mais pas « agelaste ». Est-ce « agelaste » ou « agélaste » ? Où se trouve-t-il dans l'œuvre ? Sais pas. Il faudrait que je farfouille. Si un Lecteur peut nous renseigner, merci à lui ! J'espère que ce n'est pas une fausseté de plus en circulation sur le Net, qui attribue tout et n'importe quoi aux grands auteurs, et notamment des citations apocryphes, sans indiquer la source exacte, bien entendu.*

Je viens d’apprendre  « agelaste » grâce à de jeunes comédiens qui font des lectures au bistrot du coin. Cette fois, le sujet était casse-gueule : le rire. Il s’en sont très bien sortis, avec le soutien actif de Charlie Chaplin et de Boby Lapointe, entre autres comparses.

Sont chouettes, ces soirées lectures, qui ne coûtent qu'une conso et quelques pièces (ou plus si grande affinité). J’y avais entendu des passages joliment interprétés du magnifique Soie, d’Alessandro Baricco (Gallimard, traduit de l'italien par Françoise Brun). La quatrième saison s'achève bientôt, mais je parie qu'il y en aura une cinquième (et plus si...).

Je sais, Multitudes de Lecteurs, vous êtes disséminés dans l’immensité intergalactique et la Pelouse, c’est pas la porte à côté. Pas d'excuse : un coup de téléportation devrait suffire à vous faire débarquer un lundi soir, .

 

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* Digression

C'est ainsi qu'on trouve, dans les livres qu'on traduit, de profondes pensées attribuées à Bouddha, Montaigne ou Gandhi, par exemple. En cherchant, on s'aperçoit qu'elles ont été pondues par un obscur gourou (généralement états-unien et contemporain - dans les cas limite, l'auteur du livre en question lui-même). Mais en exergue, son nom ferait quand même moins chic que celui de Bouddha, Montaigne ou Gandhi.

Un peu plus tard...

Tiens, j'en ai encore croisé deux en moins de 10 minutes. Je sens que j'aurai bientôt une compilation suffisante pour consacrer un billet aux citations faussement attribuées.