15 décembre 2015
Ixcanul
Un film guatémaltèque tout au long duquel on entend parler cakchiquel, une langue maya ? Et qui remporte un Ours d'argent à Berlin ? C'est rare. Espérons qu'il restera un peu à l'affiche pour que vous profitiez du jeu des comédiens et de la beauté de certaines images, au pied du volcan. Je pense en particulier aux scènes entre mère et fille.
Ne lisez pas articles et résumés avant d'avoir vu le film, car ils dévoilent le nœud de l'histoire.
Sachez juste que la trahison qui décide ici d'un destin se joue par le biais d'un simulacre de traduction.
Rude, le sort des femmes indiennes, dans leurs plantations de café, démunies qu'elles sont face aux contremaîtres et à une société dont elles ignorent la langue et qui considère leur communauté comme arriérée ? Por cierto.
Nous aussi avons du progrès à faire, qui jetons en prison pour dix ans celle qui tue un mari coupable de décennies de violence sur elle-même et ses enfants.
Ixcanul
Film de Jayro Bustamante
2014
Chose rare aussi :
les adaptateurs du cakchiquel vers l'espagnol
ainsi que ceux des versions anglaise et allemande
font partie intégrante du générique.
30 septembre 2015
Jérôme, c'est ta fête !
— Traducteur, même indépendant, tu as un patron.
— Allons bon.
— Saint, de surcroît.
— C'est entre autres parce que je n'en connaissais pas, de patrons saints, que je suis devenu indépendant.
— Et comme souvent parmi nos congénères, flanqué d'un animal de compagnie du genre félin.
— Ah ouais, j'ai le même, en un peu plus petit, aussi griffu et généralement vautré non pas par terre mais sur le bouquin.
Saint patron des traducteurs et son lion fidèle découvrant, dépités,
qu'on leur a encore confié un texte truffé d'ambiguïtés, redites, contradictions
et que ce n'est pas avec ce qu'on les paie qu'ils retapisseront la grotte
et mettront du beurre dans les croquettes.
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Autre publication à lire sur ce blog,
en cette Journée mondiale de la traduction.
07:05 Publié dans Elle voit des traducteurs partout | Commentaires (0) | Lien permanent
18 décembre 2014
Elle voit des traducteurs partout (7) - Dicos ou pinceaux.
Cette rubrique s'emploie à répertorier les traducteurs ou leurs cousins interprètes que je rencontre au hasard – qui va croire une chose pareille ? – de mes lectures. Le même hasard est d'autant moins crédible que j'en croise assez souvent, pourtant sans les chercher.
De précédents billets l'ont démontré : dans les romans, le traducteur exerce rarement par vocation. Souvent, il est traducteur de hasard (encore lui !) ou se lance dans cette activité faute de mieux, pour se sauver des marécages de la misère.
Cette fois, c'est encore le cas où presque, puisque le narrateur se trouve devant un choix cruel : priver son enfant de leçons de violon ou ne pas pouvoir payer sa cuisinière. Redescendez de vos ergots : la dérision n'est jamais bien loin dans ce livre.
« Louise [...] vint nous trouver en pleurant, disant qu'elle se priverait de manger plutôt que de peiner Albert. Il n'y avait qu'à accepter, pour ne pas froisser cette brave fille ; mais je pris la résolution de me relever deux heures chaque nuit, lorsque ma femme me croit endormi, et de ramasser, à l'aide de quelques traductions d'articles anglais que je sais où placer, l'argent dont nous privions la bonne Louise. » (page 37)
Ici, la traduction-beurre, ou traduction-épinard selon la gravité de la situation, se console car on la place à même enseigne qu'une activité artistique, ce qui est tout de même flatteur pour un vulgaire gagne-pain. À la page suivante, tandis que le narrateur trime sur ses articles quand toute la maisonnée dort, qui voit-il arriver ? Sa femme :
« Ursule ! — Elle avait eu la même idée : pour payer Louise, elle préparait de petits écrans, qu'elle sait où placer ; vous savez qu'elle possède un certain talent pour l'aquarelle... des choses charmantes, mon ami... Nous étions tous deux très émus ; nous nous sommes embrassés en pleurant. »
Et les voilà partis à traduire et à aquareller de conserve, au lieu de se coucher pour se relever ensuite en douce chacun de son côté.
Je pourrais recopier aussi pour vous la page 70, où le narrateur, se perdant en écritures oiseuses, élucubre avec un ami sur la traduction de Numero Deus impare gaudet, supposée être « Le numéro deux se réjouit d'être impair ».
Je préfère vous livrer ce joli passage, page 106, sans rapport avec les traducteurs autres que spécialistes du renvoi à plus tard. Le hasard se demande décidément ce qu'il vient faire dans cette rubrique :
« — L'agenda a du bon, pensai-je, car si je n'eusse pas marqué pour ce matin ce que j'eusse dû faire, j'aurais pu l'oublier, et je n'aurais pu me réjouir de ne l'avoir point fait. C'est toujours là le charme qu'a pour moi ce que j'appelai si joliment l'imprévu négatif [...]. »
C'est dans Paludes, d'André Gide (Gallimard, 1920, exemplaire de la collection Folio sauvé d'une poubelle de hasard).
20:19 Publié dans Elle voit des traducteurs partout | Commentaires (0) | Lien permanent
07 novembre 2014
Payés, les interprètes ? Y a pas d'justice !
Vous ne savez pas la meilleure ? Il semblerait que les cousins interprètes prétendent se faire payer pour leur boulot, notamment et y compris quand ils travaillent pour la Justice. Sont gonflés, tout de même. Par chance, le ministère, futé, a trouvé moyen d'échapper à leurs griffes rapaces. Jusqu'à ce qu'il se fasse allumer... par la Justice.
C'est dans un article du Canard enchaîné signé Didier Hassoux (22/11/2014, page 3) et intitulé La justice aligne le ministère de la Justice.
Pas grave, la justice se débrouille par d'autres biais. Cette fois, c'est aidée par la police judiciaire, pas à cours de ressources, humaines plutôt que financières. Et c'est de la fiction mais le polar a l'air plutôt bien documenté :
« Avant de passer à l'échelon local, Olivier et Alice firent le tour des autres services de la PJPP à la recherche de collègues capables d'assurer une conversation téléphonique en arabe, en espagnol, en grec et en italien pour s'adresser directement aux autorités de police locales. La justice avait souvent affaire à des interprètes, mais il faudrait les payer, et Martin leur avait fermement conseillé d'utiliser leurs connexions et de se mettre en quête de bonnes volontés bénévoles.
Pour l'arabe, ils trouvèrent assez facilement une jeune lieutenant des stups, et un des huissiers à l'étage de la direction était d'origine espagnole. Pour le grec et l'italien, ils ne trouvèrent personne, mais Martin leur dit que d'après ses souvenirs, Laurette parlait plutôt bien italien. Pour une fois, ce ne serait pas son expertise psychologique qui serait mise à contribution. Pour le grec, ils allaient devoir faire appel à des compétences extérieures, mais Olivier avait repéré la fille d'un traiteur grec de la rue Saint-André-des-Arts – super jolie en prime – et il n'aurait qu'à traverser la Seine pour se faire assister tout en mangeant des feuilles de vigne farcies et des baklavas. D'une pierre trois coups. »
C'est dans :
Dame d'atout
Alexis Lacaye
Éditions du Masque
2014
p. 285
Pour une fois que ce blog monomaniaque
ne voit pas que des traducteurs partout...
10 juillet 2014
Elle voit des traducteurs partout (7) - Sigmund s'y met aussi...
« On oublie souvent que Freud lui-même a été traducteur, il a traduit Charcot. Jamais il ne traduit un mot systématiquement de la même manière. »
« Et Freud traducteur ? Michèle Cornillot en a donné un aperçu très éclairant. Freud a essentiellement traduit un volume des œuvres de Stuart Mill, deux de Charcot et deux de Bernheim. Pour lui, traduire, c'était d'abord interpréter. [...] Freud, par sa traduction extrêmement dynamique et contextuelle, cherche à reproduire sur le lecteur de la langue d'arrivée un effet qui soit le même que celui qui a été obtenu sur le lecteur de la langue de départ. »
C'est dans le n° 45 (été 2013) de TransLittérature, la revue coéditée par l'ATLF et ATLAS, qui consacrait un dossier à Traduire Freud.
Première citation (p. 63) :
Freud, les mots pour le dire
Entretien avec Jean-Pierre Lefebvre
Propos recueillis par Emmanuèle Sandron
Deuxième citation (p. 88)
Petite bibliothèque subjective du traducteur freudologue
Emmanuèle Sandron
(qui est ici aussi et aime à rappeler que Freude, c'est la joie :)
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Le principe de cette rubrique est rappelé ici.
Si vous aussi, vous vous complaisez à voir des traducteurs partout,
vous en rencontrerez encore une bande, au cinéma, cette fois.
C'est dans l'article Les Traducteurs au cinéma, signé Graham macLachlan, paru dans le dernier Traduire (p. 63), revue de la SFT récemment évoquée dans cet autre billet.
21:40 Publié dans À travers mots, Elle voit des traducteurs partout | Commentaires (0) | Lien permanent
05 juillet 2014
Elle voit des traducteurs partout (6) - Et susceptibles, avec ça.
Une enquêtrice, tentant d'éclaircir les circonstances d'un homicide, demande à un traducteur ce que signifient quelques mots inscrits sur des bouts de papier retrouvés dans la poche de la victime. Entre crochets : analyse de l'implicite par votre servante mais c'est juste pour le plaisir du mauvais esprit.
Elle repensa aux petits bouts de papier froissés en boule, avec des mots en arabe dont elle aurait bientôt la traduction. Cela ne devait avoir aucune importance, mais elle devait quand même s'en assurer.
Le traducteur répondit à la troisième sonnerie.
[Occupé à trier ses cocottes en papier, le gratte-papier feint d'être débordé et absorbé par sa tâche d'une extrême importance, d'où son retard à la détente, calculé à la sonnerie près.]— Ah ! ça n'a pas été facile à déchiffrer..., prévint-il.
[Il en remet une couche, au cas où on douterait de sa qualification et des textes pointus sur lesquels il travaille. D'une sensibilité exacerbée, il perçoit que son interlocutrice n'est pas convaincue de l'intérêt de la mission qu'elle lui a confiée.]— Mais vous avez quand même réussi à comprendre ce qui était écrit ? demanda Frederika, curieuse.
— Oui, bien sûr, répondit le traducteur, qui sembla presque vexé par la question.
[Et bouffi d'amour-propre, avec ça.]Frederika se mordit la lèvre. Zut ! Que de susceptibilités à éviter de froisser...
Suit le décryptage des mentions sur bouts de papier.
Ce collègue qui gagnerait de voir ses mérites plus justement reconnus fait une apparition dans :
La Fille au tatouage
Kristina Ohlsson
Traduit du suédois par Hélène Hervieu
J'ai Lu, 2012 (page 113)