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16 décembre 2014

Un beau blogzibao sur la traduction...

... cela se salue, surtout quand on est soi-même un humble blog et qu'on est tout honteux d'avoir ignoré ou oublié l'existence d'un grand frère. Lequel porte un titre joliment trouvé : Tradzibao.

Sous la plume de la journaliste Claire Darfeuille, qui consacre un article au même sujet dans ActuaLitté, Tradzibao commente la remise du prix Pierre-François Caillé. L'ESIT et la SFT ont décerné cette récompense ce samedi à un jeune traducteur : Jean-Christophe Salaün.

Celui-ci a traduit de l'islandais vers le français un roman alléchant, signé Hallgrimur Helgason et intitulé La Femme à 1000°, aux Presses de la Cité.

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La remise du prix a été l'occasion de découvrir quelques-uns des jeux de mots inventés par le traducteur. Ses « anarchastes », entre autres, m'ont mise en joie. Le rappel d'ergotages sur le choix de « à 1000° » ou « aux 1000° », dans le titre, ne pouvait que ravir aussi des oreilles traductrices.

Inutile de me fatiguer à vous en dire davantage : quand tout ou presque a déjà été dit, en mieux, autant faire sobre ! La sphère franco-touito-islandaise s'agite déjà assez comme ça. Revue de presse sur la page d'Actus de la SFT.

 

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Levant le nez de l'un des rares Arnaldur qu'il n'avait pas encore dévorés (Arnaldur Indridason, La Rivière noire, traduit de l'islandais par Eric Boury, éditions Points), ce blog friand d'ambiances chaudes et festives de littérature islandaise ou en provenance d'autres pays scandinaves rappelle qu'il a publié quelques modestes billets évoquant certains auteurs, livres et autres produits des cultures nordiques :

- Le Vieux qui...
- Marcher – Partir ?
- Elle voit des traducteurs partout (6)
- Marie, mon ciel ! (16)
- Paroles d'hommes et de femmes du monde (1)
- Bortbyting
- Pétaflop et Pepparkaka.

Dans ces billets, le lecteur vraiment désœuvré et ne s'étant pas encore procuré
La Femme à 1000°  (re)trouvera, en vrac, Jonas Jonasson, Tomas Espedal, Terje Sinding, Henning Mankell, Kristina Ohlsson, August Strindberg, des bébés trolls et quelques douceurs de fin d'année.

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En citant des noms scandinaves, un blog non polyglotte, diklessixque et enrhumé prend des risques inconsidérés. Merci à ceux qui me signaleront de prévisibles coquilles et écorcheries ; toutes mes excuses anticipées pour celles qui échapperaient à leur œil de lynx serviable.

29 décembre 2012

Marcher - Partir ?

 « Rien ne ressemble plus à un rêve
qu’un voyage en car de nuit dans un pays étranger. » 

Terje Sinding m’a offert un livre de Tomas Espedal, qui s’intitule Marcher (ou l’art de mener une vie déréglée et poétique)

La sédentarité ne convient pas au narrateur. Sans doute être enfermé entre quatre murs empêche-t-il cet écrivain de penser comme il le voudrait, lui qui ne pense jamais mieux qu’en marchant, surtout en montagne, et pour qui « marcher, c’est le contraire d’habiter ». N’y tenant plus, il part pour des mois de semi-vagabondage, dans un premier temps à travers son pays, la Norvège. Au fil du livre, il racontera aussi d’autres de ses échappées, notamment en France, sur les traces de Rimbaud, de Satie, de Giacometti et de son Homme qui marche.

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L'Homme qui marche et l'enfant

Sculpture d'Alberto Giacometti,
fondation Maeght

Photo © Louis-Paul Fallot

Convoquant Rousseau, Chatwin et bien d’autres, l’auteur définit un genre littéraire : le livre de marcheur. Mais ce roman marche aussi vers le cœur de l’écriture. Un paradoxe se dessine : si la marche favorise les pensées, écrire oblige à lutter contre elles. La lutte et la souffrance sont aussi celles du corps, à cause de la faim, du froid, des ampoules. Pourtant, marcher est également un moyen de se purifier. Et c’est le bonheur de la solitude, en une phrase du traducteur qu’on voudrait avoir formulée soi-même :
« Jamais je ne me sens moins esseulé qu’en étant seul. » 

Le narrateur quitte son cher isolement (où il croise toutes sortes de personnages) pour rejoindre en Grèce son ami et habituel compagnon de marche, Narve. L’évocation d'un de leurs souvenirs communs, une représentation du Songe d’une nuit d’été, en plein air et justement lors du solstice d’été, à l’occasion d’une précédente randonnée en Norvège, vaut à elle seule de lire le roman. 

Si Narve est équipé d’un seyant pantalon de rando couleur fluo, le narrateur, assez peu conforme à la dégaine du Vieux Campeur, se balade sur les chemins escarpés, d’un bout à l’autre de l’Europe, en costard à fines rayures et Doc Martens. Aux deux compères qui sont là pour des mois et ont quasiment tout quitté pour pénétrer des régions inconnues, il arrive de croiser leurs contraires, « ces types pourvus d’un sérieux mélange de témérité et de bêtise, les pires qualités pour entreprendre un voyage ». De ces « idiots itinérants », j’ai croisé avec perplexité un bon nombre de spécimens lors de mes propres vadrouilles, en me demandant pourquoi ils partaient pour de si longs périples, si c’était pour rester cloîtrés ou presque, en territoire bien rassurant et entourés de leurs clones, dans les auberges de jeunesse du continent écumé. De quoi rêvent-ils ? « Du plaisir de rentrer à Sydney, de reprendre des études et d’épouser la fille des voisins. »  En Turquie, l’expédition de Narve et du narrateur prendra fin, vaincue par le mal du pays.

Ajoutons qu’en chemin, les deux zigs sifflent une impressionnante quantité de whisky, ouzo, raki et autres substances alcoolisées, souvent pour lutter contre le froid de la belle étoile. Le randonneur moyen ne vit pas que de dénivelées et d’eau fraîche, quoi qu’on pense, mais de là à trimbaler force litrons dans son sac à dos... Eux, qui voyagent pourtant très léger, se délestent rarement de leur carburant, ou bien seulement selon le principe des vases communicants. 

Terje Sinding ne pouvait guère savoir que la déambulation était l’une de mes occupations les plus nécessaires (oui, c’est gênant quand on est censé tapoter d’arrache-mains sur un clavier toute la journée). Il ne pouvait savoir non plus que j’en ai aussi traduit un, de « livre de marcheur ». L’auteur de celui-là se balade de l’Angleterre à l’Australie. Sa recherche est différente. Mais les marcheurs-penseurs qu’ils citent sont souvent les mêmes. En lisant Marcher, je me suis aperçue que son traducteur et moi avions farfouillé dans les mêmes poèmes de Whitman, épluché – en suant à grosses gouttes, en ce qui me concerne – les mêmes pages du journal de Kierkegaard... Mais seul Terje pouvait donner (page 67) cette belle traduction d’un poème en norvégien d’Olav Nygard, Dikt i samling, dont voici un passage :

[…] Pourquoi se hâter
Quand l’éternité chante sa berceuse
Dans le parler des elfes, quand le temps
Du joug si lourd libère les épaules,
Quand tout se meut au rythme de la danse
Sous le feuillage saupoudré d’argent.

Bientôt sortira un nouveau livre d’Espedal : Contre l’art. Connaissant maintenant un peu le bonhomme à travers les pérégrinations de son personnage dans Marcher, ça n’étonne pas vraiment de lui. En attendant, si vous avez autour de vous des déambuleurs, pérégrineurs, vadrouilleurs, randonneurs, marcheurs, ou même des bernacles irréductiblement accrochées à leur rocher, ça leur ferait un joli cadeau, hein ?

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Tomas Espedal
Marcher
(ou l’art de mener une vie déréglée et poétique)

Traduit du norvégien par Terje Sinding
Actes Sud, 2012
Photo de couverture

© Dariusz Klimczak

 

Tiens, la sédentarité des bernacles qui, après tout, même collées à leur rocher ou dans leur baignoire, peuvent contempler le monde elles aussi, me fait penser à cet autre poème, de Blaise Cendrars celui-là. Un autre ami et collègue, Graham Maclachlan y voit plein « de promesses, d’espoirs, d’ivresse de la vie » :

Tu es plus belle que le ciel et la mer (extrait)

Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir

Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises

II y a l’air il y a le vent
Les montagnes l’eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
Apprends à vendre à acheter à revendre

Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler

Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t’en
Je prends mon bain et je regarde

Je vois la bouche que je connais
La main la jambe l’œil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes…

Feuilles de route, 1924.
Gallimard 1993


Merci à Terje, à Louis-Paul et à Graham.

Au fond, bloguer, c’est marcher un peu, puisque ça permet aussi de faire des rencontres ou de mieux connaître ceux qu'on a déjà rencontrés.

***

La sculpture L'Homme qui marche, d'Alberto Giacometti, est celle de la fondation Maeght. La photo est l'œuvre de Louis-Paul Fallot. Je l'ai trouvée en farfouillant pour illustrer mon billet et il m'a gentiment autorisée à la publier. Elle s'intitule L'Homme qui marche et l'enfant. Vous la verrez sur cette page du Blog de Louis-Paul.
Elle est chouette, hein ?
Visitez ce blog, les autres photos sont magnifiques aussi.
Des photos comme on aimerait en faire :(