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02 mars 2012

Billet dégoulinant (suite)

Depuis la publication de ce billet, qui faisait l’éloge d’humains curieusement appliqués à épargner l’existence de bestioles et même de misérables végétaux, j’ai croisé deux textes, qui viennent admirablement le compléter.

L’autre jour, c’était Audrey Pulvar, sur France Inter, qui, dans une chronique intitulée Louise et le philosophe, évoquait une conversation imaginaire (parue dans la revue Rivages – j’y débarque, je ne connaissais pas !) entre Georges Marbeck et Louise Michel. Celui-ci interrogeait la communarde sur son amour des animaux et, en particulier, des albatros martyrisés par les marins sur le bateau qui l’emmenait en exil. La réponse de Louise Michel est véritablement issue d’un des ses écrits : 

 « Après les avoir pêchés à l’hameçon, on les suspendait par les pieds pour qu’ils meurent sans tacher la blancheur de leurs plumes… Tristement, longtemps, ils soulevaient la tête, arrondissant le plus qu’ils pouvaient leur cou de cygne afin de prolonger la misérable agonie qu’on lisait dans l’épouvante de leurs yeux aux cils noirs… On m’a souvent accusée de plus de sollicitude pour les bêtes que pour les gens. C’est que tout va ensemble, depuis l’oiseau dont on écrase la couvée jusqu’aux nids humains décimés par la guerre… Le cœur de la bête est comme le cœur humain, son cerveau est comme le cerveau humain, susceptible de sentir et de comprendre… Au fond de ma révolte contre les forts, je trouve du plus loin qu’il me souvienne l’horreur des tortures infligées aux bêtes. C’est ainsi que ceux qui tiennent les peuples agissent envers eux. »

 

Et puis, je viens de terminer Les Racines du ciel, de Romain Gary (Folio). Dans ce prix Goncourt 1956 qu’on croirait écrit hier tellement il reste d’actualité, notamment sur la situation politique en Afrique, le héros, Morel, lutte pour la sauvegarde des éléphants (encore un peu, j’écrivais « défense » à la place de « sauvegarde »). Auparavant, il a lutté pour sa propre survie en camp de concentration :

« Soudain, Morel avait senti quelque chose heurter sa joue et tomber à ses pieds ; il baissa les yeux prudemment, essayant de ne pas perdre l’équilibre : c’était un hanneton.

Il était tombé sur le dos et remuait les pattes. Il s’efforçait en vain de se retourner. Morel s’était arrêté et regardait fixement l’insecte à ses pieds. A ce moment-là, cela faisait un an qu’il était au camp et, depuis trois semaines, il portait les sacs de ciment huit heure par jour, le ventre vide. 

Mais il y avait ici quelque chose qu’il n’était pas possible de laisser échapper. Il plia le genou, les sacs en équilibre sur l’épaule, et d’un mouvement de l’index, il remit l’insecte sur ses pattes. » 

Les autres prisonniers l’imitent, portant eux aussi secours aux hannetons. Le sergent qui les surveille arrive. 

« Il avait reconnu l’ennemi. On se trouvait devant une manifestation scandaleuse, une profession de foi, une proclamation de dignité, inadmissible chez des hommes réduits à zéro. » 

Le sergent se rue d’abord sur les hommes puis, comprenant que cela les touchera plus gravement, s’en prend aux hannetons, qu’il piétine. « … mais ce qu’il visait était complètement hors d’atteinte, hors de portée et ne pouvait être tué. (…) Il eût fallu tuer tous les hommes jusqu’au dernier et sur toute la terre et encore il était probable qu’une trace allait demeurer derrière eux, comme un sourire invincible de la nature. » 

Merci à S., qui m'a prêté le livre.

 

À quoi bon tenir des blogs patauds, lorsque tout a déjà été écrit,
et si bien ?

 

27 décembre 2011

Mots appris (5) - Bonnacon et Méquelcon

Michel Pastoureau est un historien qui écrit des bouquins et articles passionnants sur la couleur, sujet multifacettique dont je me repais à la moindre occasion, comme lors de cette expo, par exemple**. Ou comme lors de la Journée de Printemps de l'association Atlas, dont l'édition 2009 s'intitulait Traduire la couleur.

Également spécialiste de l’histoire des animaux, Michel Pastoureau vient de sortir un livre dans ce second domaine, que je parie aussi bigarré que l’autre :

Bestiaires du Moyen Âge
Ed. Seuil

Dans le Monde du 16 décembre dernier, un article de Harry Bellet présentait le livre et en citait un extrait. C’est ainsi que j’ai appris l’existence du bonnacon, qui… Nan nan nan, je ne vous en dirai pas plus. Sachez juste que son système de défense met en joie mes 3 ans et demi d’âge mental.

Ce mot récemment appris m’offre un prétexte en or pour en introduire un autre, de ma propre invention et que je n’osais vous présenter, m’étant gardée jusqu’ici des billets de trop mauvaise humeur. N’empêche, il m’arrive trop souvent de le prononcer mentalement pour que je continue à le passer sous silence. Oui, je l’avoue, quand je me promène dans la virtuellosphère et que j'y lis certains propos, je profère de manière assez récurrente (mais très étroitement ciblée sur quelques individus, rassurez-vous) le mot « méquelcon », en étouffant un point d’exclamation. Ça doit vouloir dire que, quoique rare, il existe, le méquelcon. Tout comme le bonnacon. Avec un mode d’expression assez proche, à la réflexion.

Tu as raison, Lecteur sans qui ce billet resterait incomplet. En pleine trêve des pâtissiers, l'acidité, c'est décalé. Et tu fais bien d'observer aussi qu'on est forcément, à un moment ou à un autre, l'animal mythique de quelqu'un.

 

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**Je m'en serais bien gavée il y a une dizaine d'années, quand un éditeur me proposa la traduction d'un passionnant livre sur la couleur, dans toutes ses dimensions : scientifique, philosophique, artistique, historique... Pour 2 000 francs (environ 300 euros). « Offre » (pour qui ?) que je déclinai, la mort dans l'âme. Il y en avait au minimum pour 3 mois de travail à plein temps. Mon interlocuteur me confia qu'habituellement, la maison qu'il représentait passait plutôt ce genre de commandes auprès d'universitaires.

11 décembre 2011

Mots appris (4) - hiérosolymitain

Lorsque j’ai lu l’adjectif « hiérosolymitain » sous la plume de Pierre Assouline, dans son livre Vies de Job (Gallimard), un carambolage neurono-dyslexico-étymologesque m’a fait sur-le-champ visualiser un tournesol portant des gants sans doigts.

Si tu farfouilles un peu, Lecteur curieux - ou sinon on se demande vraiment ce que tu fais ici -, tu admettras que l’idée de soleil (couchant, en l’occurrence, et non affublé de mitaines) était bel et bien contenue dans l’origine de ce mot.

[Ici, je laisse exprès un paragraphe manquant, que tu complèteras de toi-même pour rendre un semblant de logique à mon discours, Lecteur, quand tu auras trouvé le sens de « hiérosolymitain ». Mais je parie que tu le connaissais déjà ou que tu l’as deviné.]

Car on voyage, dans ce roman (il y a marqué « roman » sur la couverture), à la suite de son auteur. Du Levant au couchant, du nord au sud, en toutes époques et surtout en son histoire et en sa personnalité, du moins pour ce qu’il nous en livre à travers sa quête de Job, qu’il voit partout. Plus jamais je ne considérerai du même oeil ou de la même oreille Bartleby, Joni Mitchell ou les papiers à cigarette, entre autres.

Je vous citerais bien le bouquin en entier. Mais ça ne se fait pas et ce serait d’autant plus malhonnête que je n’ai pas les références pour l’avoir compris en totalité. Sachez que les traducteurs y sont à plusieurs reprises évoqués, et en bien, comme souvent dans les écrits de Pierre Assouline. Mais même ces passages, je vous les laisse découvrir.

Je reprendrai juste un extrait, où l’auteur cite lui-même une autre œuvre. Et où on en revient au soleil, malgré tout :

« Yossel Rakover s'adresse à Dieu est une énigme. Imaginez un texte d’une quinzaine de pages à peine, venu d’on ne sait où, signé d’un certain Zvi Kolitz, publié pour la première fois le 25 septembre 1946 dans le Yiddishe Zeitung de Buenos Aires à l’occasion du jour du Grand Pardon, qui s’avance précédé d’une épigraphe trouvée sur le mur d’une cave de Cologne où des juifs avaient passé toute la guerre : "Je crois au soleil, même s’il ne brille pas. Je crois à l’amour, même si je ne le connais pas. Je crois en Dieu, même s’il se tait." » (Le texte français est la traduction de Léa Marcou, éditions Calmann-Lévy.)

Buttes coucher soleil.JPG

 

11 novembre 2011

Mots appris (1) - bortbyting

L'autre jour, j'ai appris un mot.
Circonstance atténuante à mon ignorance : il est suédois.

Il s'appelle bortbyting, ce qui veut dire, « dans la tradition populaire suédoise, un enfant troll que ses parents déposent dans le berceau d'un enfant humain, après avoir volé celui-ci pour leur propre usage ». Il se prononce bʊrtːbyːtiŋ

Les trolls sont décidément capables du pire.

J'ai rencontré le bortbyting dans ce livre :

Henning Mankell
Les Chaussures italiennes
Editions du Seuil, 2009
Dans une traduction qui semble couler de source, signée Anna Gibson
(à qui on doit la NdT de la page 163 sur le coucou-troll, donc).

 

Tenez, deux extraits pour vous allécher :

Page 26 :

« Jansson est quelqu'un pour qui ma générosité bienveillante va de soi, et c'est sans doute pour ça qu'il me déplaît tant.  C'est difficile d'avoir pour plus proche ami quelqu'un qu'on n'aime pas. »

Page 157 :

« J'ai appris qu'au cours de mes années sur l'île, tout à fait à mon insu, une chose m'avait terriblement manqué, et c'était celle-là : boire un verre de vin avec mes amis. »

Entre temps, la glace a fondu et il y a eu de la rédemption dans l'air.

Il s'agit en effet d'un homme vieillissant qui a entrepris de jouer non pas les loups des steppes mais les ours des îlots perdus. Faut dire qu'il a de bonnes raisons d'avoir voulu disparaître dans son trou de glace. Les circonstances et trois femmes vont lui redonner la vie.

 

Encore un petit passage, pour la route. Voilà que l'homme vieillissant parle de la langue – plus que jamais par l'entremise de la traductrice –, maintenant. Dressage d'oreille et matière à réflexion :

« M'obligera.
Quand avais-je entendu pour la dernière fois quelqu'un utiliser cette expression désuète ? [...] Peut-être la langue survivrait-elle autrement au fond de la forêt que dans les grandes villes, où les mots étaient chassés comme des parias ? »

 

Mankell (Small).jpg

 

Merci à C., qui me l'a offert.

 

Tiens, il est beau, ce ciel sur la couverture.
Il mériterait de figurer dans la rubrique
Marie, mon ciel !