27 avril 2014
Prenons un peu de hautrice
Je fais remonter ce billet car vlatipa qu'une émission de radio apporte de l'eau au moulin de l'autrice, en la citant plusieurs fois, et de ses copines, flanquées de la règle de proximité et d'une histoire de la langue française qu'il serait bon de faire remonter aussi.
C'était sur France Inter vendredi 25 avril, dans Les Femmes, toute une histoire. À partir de 38'26, Stéphanie Duncan interviewait Éliane Viennot, autrice de
Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française
Éditions iXe, 2014
«Jusqu'au XVIIe siècle, on dit "autrice"... »
«Tous les titres et qualités sont [alors] déclinés au féminin puisque c'est le fonctionnement naturel de la langue française. »
Et de citer aussi «doyenne », «financière », «officière », «avocate », et j'en passe.
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J'ai une très estimée collègue, quelque part à l'ouest – non, dans l'ouest, mais je n'allais pas laisser passer une blague aussi facile, d'autant plus qu'elle l'a déjà commise elle-même –, avec qui j'échange sous forme de mèls ma prose de canard boiteux contre ses délicats poulets de fine race.
Les débats animant une basse-cour commune (soit dit sans offense – c'est juste pour rester dans le domaine avicole) nous ont amenées à poursuivre en privé une discussion sur un thème qui, pour une fois, ne met pas en émoi que les traducteurs-trices car il agite régulièrement une grande partie de la population et des médias : la féminisation des noms n'existant traditionnellement qu'au masculin.
Par chance, pour celui qui désigne notre métier, il existait déjà un féminin, que personne ne semble vouloir remplacer par un truc en -teure. La réputation peu prestigieuse de la fonction explique peut-être qu'à nous, comme à d'autres modestes professions : boulanger/boulangère, camionneur/camionneuse, gardien/gardienne, agriculteur/agricultrice, etc. on ne conteste pas jusqu'à la possibilité même que notre nom ait un féminin, y compris quand le boulot est accompli par une majorité d'êtres humains visiblement femelles*.
Mais pour le mot « auteur »... c'est une autre histoire et même parmi les principaux intéressé(e)s, le désaccord fait rage.
Il n'empêche qu'« auteure » figure bien dans le Robert. (Pour ce qui est du dictionnaire de l'Académie, il semble que de l'eau doive encore couler sous la passerelle des Arts.) Cette « auteure », qu'elle soit acceptée ou non par la population, y compris écrivante et traduisante, tente de se frayer un chemin dans l'usage.
Cependant, Robert propose aussi un autre féminin, en précisant toutefois, exemple à l'appui, qu'il peut s'employer à titre ironique. Rose-Marie Vassallo, puisque c'est d'elle qu'il s'agit et qu'elle s'est faite ma complice pour ce billet, a trouvé un argument en béton une pierre à ajouter à l'édifice linguistique en faveur de cette seconde forme. Plusieurs pierres, même...
Les anciens les ont artistement disposées pour construire ce calvaire, au XVIIe siècle :
(cliché Michelle Le Brozec, pré-inventaire, 1971)
De moins anciens, raconte Rose-Marie, « l'ont déposé, puis reposé et... cimenté !!! » Mais pourquoi donc, noble consœur calvairologue ? « Parce qu'il était de guingois. J'ai des tas de photos de nos lardons en train de jouer au pied de ce calvaire penché – et qui ne risquait pas de tomber, methinks. » On se demande même si les rénovateurs zélés ne l'ont pas fait tournicoter sur son socle, hérésie !
« Quel rapport avec les variations transgenres d'"auteur" ? », vous agacerez-vous, Lecteurs consommateurs de tout-tout-de-suite, qui avez d'autres blogs à survoler d'un œil blasé.
C'est que, sur la face ouest du calvaire, il est inscrit ceci :
Non, pas « MAURICE », Lecteurs niant l'évidence, « AUTRICE ».
Et sur les autres faces :
1636 MAD OAS [sud]
MAHE LISS [est]
ILLOUR RE [nord]
Écoutons Rose-Marie, qui s'est donné le mal de prendre toutes ces photos à quatre pattes, par lumière rasante et sous la houlette d'un maître ès photographie :
« Ce calvaire commémore la fin d'une épidémie de peste, et les spécialistes tombent d'accord sur le sens de l'inscription : une Marguerite Lissillour fit réédifier (RE-AUTRICE) à cette occasion la croix déjà présente et sans doute rudimentaire. (La présence d'un seul bubon et la phrase de remerciement, "Mad oas -- Tu fus bon", semblent indiquer que la paroisse de Trégastel fut épargnée.)
J'aurais mieux aimé une "autrice" sculptrice, c'est ce que je me plaisais à imaginer lors de notre arrivée ici, mais le mot est là : autrice et non pas auteurE :-) Désignant donc, comme c'était l'une des acceptions à l'époque, l'initiatrice, l'instigatrice de l'érection de cette croix neuve. Et sans nul doute la bailleuse de fonds.(Par parenthèse, "auteur" ne dérive pas du latin "agere", comme on serait tenté de le croire, comme je l'étais la première, mais d'"augere", faire croître, augmenter --> auctoritas, autorité, cf. le Robert historique de la langue française.)
Bref, personnellement, comme toi, je préférerais "autrice" à "auteure", et pour une fois j'en veux aux Québécois. Quelle idée d'avoir fait peser la balance dans le sens de cette dernière option ! Tu me diras, avec "professeur"... »
Et Rose-Marie de conclure en citant sa source, où elle a trouvé les détails sur les inscriptions :
Mes infos sont tirées de l'excellent bouquin d'un historien local : Emmanuel MAZÉ, Trégastel. Le passé retrouvé. Les Presses Bretonnes, 1994, Saint-Brieuc.
Mersi bras, Rose-Marie ! On en redemanderait, des calvaires comme celui-là.
Pour l'ambiance, ce blog multimédia (mais pas au point de savoir comment attraper un de ces airs en particulier, pour l'incruster ici en toute légalité) va se remettre un coup de chansons en breton.
* Tiens, ça me fait remarquer que l'adjectif « mâle » existe au féminin (une mâle assurance) mais que l'adjectif « femelle » n'apparaît guère au masculin, à ma connaissance. Sauf dans « un ragondin femelle », par exemple. Je vous embrouille ?
20:07 Publié dans À travers mots | Commentaires (15) | Lien permanent
Commentaires
J'applaudis à deux mains (comme si on pouvait applaudir autrement)… Bravo les filles, z'êtes trop fortes. En tout cas, moi je s'rai jamais une traducteure (à prononcer avec l'accent parigot d'Arletty disant dans Hôtel du Nord : "Eh ben moi je s'rai jamais la maîtresse d'un photogrââphe.")
Écrit par : Plou | 10 avril 2014
La femelle du ragondin c'est pas la gourgandine ?
Bon, je sors.
Écrit par : plou | 10 avril 2014
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Bienvenue au pied du calvaire, chère Plou, qui pour une première fois frappe très fort avec tes deux mains.
Tout l'honneur du billet, si honneur (au Nord ? pour rester auprès d'Arletty) il y a, revient à Rose-Marie car l'objet du délit - le calvaire, pas les autrices, quoique - ne se laisse pas prendre en photo comme ça.
A toi de nous dire maintenant comment on désigne le mâle de la gourgandine, dans les cas où il ne s'appelle pas "ragondin" :))
Écrit par : L'Autre Jour | 10 avril 2014
À la lecture de cet article, je dois avouer que je me suis maintes fois demandée où vous vouliez en venir. Non pas que ce fût un calvaire de vous lire, mais les associations d'idées m'ont légèrement déboussolée. J'en ai perdu l'ouest... même si ce n'était pas bien grave puisqu'à l'ouest, rien de nouveau, toujours l'Atlantique...
Pour en revenir à nos ragondins, dont je ne connais pas la femelle - je ne vous serai donc d'aucune aide à ce sujet - je propose qu'on fasse parvenir les photos sus-publiées à l'Académie pour faire pencher la balance en notre faveur et ne pas subir ad vitam aeternam le calvaire du son d'un néologisme qui blesse - you - les oreilles !
Mais du coup, réviseur ?
En tout cas, merci Rose-Marie-Christine et au plaisir de nouvelles découvertes "calvairologiques" !
Écrit par : Aurélie L. | 10 avril 2014
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Merci Aurélie et navrée d'avoir causé une migraine à votre boussole.
Oui, ce blog a le chic pour prendre, contre toute logique géométrique, des raccourcis alambiqués :) Ses Lecteurs n'en ont que plus de mérite.
Pour ce qui est des Réviseurs, j'aurais pensé qu'ils pouvaient être des Réviseuses mais mieux vaudrait les laisser s'exprimer, la tribune est à eux ! En tout cas, je connais plusieurs honorables Correctrices.
Tiens, ces personnages tournant autour du livre me font penser à Si par une nuit d'hiver un voyageur, d'Italo Calvino.
Écrit par : L'Autre Jour | 10 avril 2014
Ma boussole n'a pas de tendances migraineuses, elle se porte bien rassurez-vous ! Et c'est souvent les chemins tortueux qui offrent le plus de surprises. Enfin, en tout cas, je fais partie de ces gens qui aiment se perdre pour découvrir.
Quant à "Si par une nuit d'hiver un voyageur", j'avoue mon ignorance, c'est un livre que je ne connais pas. J'en ai lus certains de Calvino, mais celui-là manque à ma culture. Je vais essayer de me le procurer et de remédier à tout cela... Merci !
Écrit par : Aurélie L. | 11 avril 2014
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Gallimard ne semble pas l'avoir encore ressorti, il faudra le chercher en bibliothèque. Et ne pas déposer de réclamation ici, si l'auteur vous embrouille, car il se pourrait bien qu'il le fasse :)
Bonne lecture, Aurélie !
Écrit par : L'Autre Jour | 11 avril 2014
Ah, quel débat que celui-ci... J'ai toujours ce souvenir chevillé au corps d'avoir failli, en terres genevoises, avaler de travers mon café "renversé" en lisant une affiche annonçant l'intervention je-ne-sais-où de Mme Unetelle, grande reportère... Quelle horreur, non ?
En revanche, ma fille a trouvé logique, sur la base de "traducteur-traductrice", de me proposer "babysitter-babysittrice".
Écrit par : Lor | 15 avril 2014
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"grande reportère... Quelle horreur, non ?"
Ben non, pourquoi ? Pour peu que la dame porte un prénom mixte, ça évite de l'imaginer sous l'aspect d'un grand aventurier à barbe de deux jours :)
Cela dit, je serais parfaitement satisfaite si notre langue disposait d'un véritable neutre et si nous pouvions passer outre à ces considérations de genre.
Il est vrai aussi que "Madame (ou même Dominique ou Claude) Unetelle, grande reporter", pourrait faire un effet tout aussi correct que "reportère" !
Quant à ta fille, je propose qu'on lui confie les rênes de la langue française (et les rennes du père Noël, en récompense). Après tout, ça ne pourrait pas être plus mal.
Fais attention quand même, elle pourrait virer terminologue, cette futée petiote. :D
Écrit par : L'Autre Jour | 15 avril 2014
Pas encore gagné pour les rênes (ni les rennes, du coup), car elle dit régulièrement "comprendu"... J'ai aussi eu droit, récemment, à une "immondation", ce qui pour le coup renferme une certaine logique.
Les autres perles, quand il y en a, tu les lis sur le blog ;).
Écrit par : Lor | 15 avril 2014
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" elle dit régulièrement "comprendu"... "
On est deux à pertinemment savoir qu'il s'agit d'un verbe du troisième groupe et qu'on dit "comprendu" de même qu'on dit "pendu". C'est pourtant simple comme une grammaire française.
"Immondation" ! J'achète. Et je le ressors à la prochaine fuite d'eau chez mes voisins :)
Écrit par : L'Autre Jour | 15 avril 2014
Et c'est vrai que si on a "mâle", on devrait avoir droit à "femel"...
Écrit par : Lor | 16 avril 2014
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Je pense que la petite Valentine serait d'accord avec sa maman et se réjouirait de son incontestable logique.
C'est les ragondins - branche "ragondins de garde" tendance dure - qui vont être contents que justice soit faite. :)
Écrit par : L'Autre Jour | 16 avril 2014
Sourire! Voilà, "je l'ai"! Ce blogue qui va à l'encontre de la règle de lecture dite de la blogosphère et qui veut que si le billet n'est pas court, il n'est pas lu!
Mais,"n'étant pas un lecteur consommateur de tout-tout-de-suite, et cela malgré d'autres blogues à survoler d'un œil intéressé", j'ai tout lu! Il faut que j'avoue que mon intérêt était un peu lié à la nature de ce billet évoquant le pays natal...Amitié.
Écrit par : Louis-Paul | 17 avril 2014
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Merci Louis-Paul, je suis toujours contente et honorée de vos visites.
J'espère que vous aurez retrouvé quelques pierres du pays. J'ai la chance de recevoir en privé et de la même complice d'autres photos de pierres locales, sculptées par l'homme ou par la nature.
Comme il serait injuste de ne pas en faire profiter les lecteurs à la ronde, voici un nid d'autres belles photos, prises dans d'autres parages et accompagnées de beaux textes, assez ignorants aussi du "tout tout de suite" :
http://www.louispaulfallot.fr/
Et le dernier opus de l'artiste :
http://www.louispaulfallot.fr/media/02/01/860023949.jpg
Amitié itou.
Écrit par : L'Autre Jour | 17 avril 2014
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