09 juin 2012
Mots de travers (7) - Événement
Je m’apprête à rendre la traduction d’un livre. Comme souvent, un certain mot y apparaît à plusieurs reprises, car il est d'emploi très courant. Je sais que le correcteur va en rectifier l’orthographe. Je laisserai faire sans pinailler, car de deux choses l’une. Soit le correcteur fait partie de ceux qui m’apprennent beaucoup à chaque révision d’ouvrage, ce dont je lui suis infiniment reconnaissante, et je préfère discuter avec lui de points plus délicats. Soit il est de ces massacreurs-de-boulot-des-autres, comme il en sévit beaucoup trop parmi les professions qui interviennent après nous, les traducteurs, et j’aurai déjà fort à faire pour lui enseigner les rudiments de la langue française, si sa conception de son métier consiste à ajouter des fôtes là où il n’y en a pas. (Oui, Lecteur profane, certains correcteurs sont une des bêtes noires des traducteurs.)
Il n’empêche… Bien que sachant qu’un correcteur humain ou plus probablement automatique (mais pas pour autant au fait de l’orthographe telle qu’admise dans le dictionnaire) va passer derrière moi et modifier la situation, ou peut-être justement parce que je le sais, je persiste à écrire le mot en question tel qu’il se prononce et tel qu’il figure dans le dictionnaire.
Je sais bien que le français ne s'écrit pas forcément comme il se prononce, loin de là. Et que si on tentait de l'écrire comme il se prononce, on seré caréman ankikiné é dan de bô dra pour pa dir un tantiné dan le kk (ce qui n'a pas l'air de déranger les scripteurs de SMS, mais c'est une autre histoire).
Par ailleurs, loin de moi l’idée de râler parce que d’autres trouvent un charme, une poésie à écrire ce mot à l’autre manière admise par le dictionnaire. Ils en ont bien le droit. J’aimerais juste (parce que j’ai la flemme d’enquêter par moi-même) qu’ils me disent s’il y a une raison historique ou autre, justifiant cette orthographe qu’ils chérissent, à l’exclusion de celle qui a ma préférence. Je serais même ravie qu’ils éclairent ma lanterne, quitte à me faire changer d'avis s'ils ont des arguments assez séduisants à m'offrir. À moins qu’il n’y ait qu’un méchant élitisme* pour expliquer ce choix, cet élitisme qui vous convainc que vous êtes du bon bord, que vous faites partie de la coterie de ceux qui savent, par rapport à l'infâme plèbe inculte ? Et que vous ayez trop peur qu’à l’écrire tel qu’on l’entend, vous passiez vous-même pour un béotien aux yeux des pisse-froid qui n’ont que trois mots de vocabulaire et trois règles d’orthographe pour croire connaître (et aimer ?) le français, et qui trouvent leur valeur dans la supposée ignorance des autres ?
Je suis sûre que parmi les tenants de l'orthographe prisée de cette élite, beaucoup n'ont seulement jamais eu l'idée de regarder comment ce mot s'écrivait dans le dico. Ben oui, on (des profs ?) leur a dit que ça s'écrivait comme ça, alors forcément, ça s'écrit comme ça.
Quoiqu’il en soit, votre « événement », moi, je n’arrive pas à l’écrire et encore moins à le prononcer, pas plus que les « hormônes » des scientifiques.
Alors, puisque ici, je suis chez moi, dans MON blog, où aucun censeur ne viendra trafiquer mon choix – choix tout ce qui est de plus conforme au dictionnaire, rappelons-le –, eh bien, j’en profite et m'en donne à cœur joie :
évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement évènement
Nananéééééééééééreu. Euh... non, décidément imprononçable.
Nanèèèèèèèèèèèèèèèèreu !!
Ah, on se sent mieux, après ça.
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* Digression :
Vous avez remarqué que les tenants de l'élitisme se placent toujours, quoique de manière non avouée, parmi l'élite ? Pourtant, en cas d'avènement (mais non, je ne l'ai pas fait exprès) de leur idéal, qui dit qu'ils y seraient admis, parmi l'élite ?
22:49 Publié dans Coups de griffe, La chronique de Vocale Hubert, Mots de travers | Commentaires (3) | Lien permanent
Commentaires
Hé hé, je me commente moi-même, pour citer le dictionnaire de l'Académie française, dont tous les exemples utilisent la version "évènement" :
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(1)ÉVÈNEMENT ou ÉVÉNEMENT n. m. XVe siècle. Dérivé savant, sur le modèle d'avènement, du latin evenire, « sortir, se produire », de venire, « venir ».
1. Vieilli. Issue, conséquence bonne ou mauvaise d'une action ou d'une situation. S'emploie encore dans quelques expressions. L'évènement lui donna tort, raison. L'évènement a trompé notre attente. À tout évènement, à tout hasard, quoi qu'il arrive. 2. Ce qui survient, ce qui arrive, en un temps et en un lieu déterminés. J'ai entendu plusieurs fois le récit de cet évènement. Évènement heureux, funeste, grave, inattendu, étrange. Les évènements suivirent leur cours ordinaire. PHYS. Tout phénomène se produisant en un point et à un instant donnés. La rencontre de deux particules est un évènement. - MATH. En calcul de probabilités, résultat éventuel d'un tirage au sort, d'un jeu de hasard, d'un pronostic, etc. Dans le jeu de pile ou face, pile ou face sont des évènements. Spécialt. Fait important, d'un point de vue général ou particulier. Les principaux évènements d'un règne. L'invention de l'imprimerie fut un des grands évènements du XVe siècle. L'évènement de l'année. Expr. Attendre un heureux évènement, une naissance. Au pluriel. Faits marquants de l'actualité. La revue des évènements du mois, de l'année. Souvent par euphémisme. Faits dont on ne sait ou ne souhaite pas préciser la nature exacte. Les évènements de mai 68.
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Slurp. Petit-lait.
Écrit par : L'Autre Jour | 11 juin 2012
Coucou, j'aime beaucoup ton blog, mais cet article, je dois dire, m'a fait me casser la tête en maugréant et ruminant pendant de longues minutes sur les milliers d'articles sur Google qui se contentent d'accepter (ou pas) que la graphie "événement" est en fait obsolète, mais tolérée, et qu'il se doit d'écrire "évènement". Bon. Je continuerai à l'écrire avec deux accents aigus, mais j'ai fini par trouver une piste qui pourrait peut-être tout expliquer! :) And I quote:
"La graphie événement est due au départ à un problème technique de l’imprimeur du Dictionnaire de l’Académie. Pour l’édition du dictionnaire de 1740, dans lequel l’Académie avait introduit toute une série de graphies nouvelles avec des è, l’imprimeur Coignard n’avait plus eu assez de caractères « è », et les avait remplacés provisoirement par des « é », en attendant une nouvelle édition (on imprima ainsi mére au lieu de mère). Dans l’édition de 1762, ces é furent corrigés en è, mais on oublia de corriger une dizaine de mots (événement, allégement, allégrement, etc.) et on les oublia aussi en 1878 et 1935. Cette erreur s’est ainsi transmise jusqu’à nos jours. La graphie événement, due à une simple rupture de stock de l’imprimeur, est donc fautive dès le départ (l’Académie déclare aujourd’hui que rien ne la justifie plus) et il était prévu dès 1736 d’écrire évènement comme avènement (M. Courberand, Libérons l’orthographe, Paris 2006, p. 94)"
Écrit par : Audrey | 03 juillet 2012
Oh, Merci, Audrey, pour ce compliment et cette enrichissante histoire ! Et bienvenue sur ce blog, tout contrit de t'avoir poussée à maugréer (en fait, quelque chose me dit qu'il n'est pas si contrit que ça de donner à maugréer, le bougre).
Voilà qui est intéressant et que j'ignorais. Une fois de plus, l'orthographe sur laquelle nous sommes si à cheval provient d'une erreur.
Raison de plus pour que
- ceux qui trouvent plaisante cette graphie due à une poétique rupture de stock puissent continuer à l'employer, et en connaissance de cause, maintenant
- ceux qui orthographient l'évènement "évènement" ne soient plus brimés comme de malpropres béotiens ! Qu'on nous laisse évèner en paix !
N'empêche, il aurait été marrant que l'imprimeur soit à court de voyelles, par exemple, et qu'il nous les ait toutes remplacées par le tas de z z z z dont il ne savait que faire...
Bznnz szzrzz z tzz zt z tzzs !!!
Écrit par : L'Autre Jour | 03 juillet 2012
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