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12 septembre 2012

Sauvons les dragons (4)

À vrai dire, le premier de ces deux spécimens n'a pas trop besoin d'être sauvé. Ou du moins, je l'espère, car cela voudrait dire qu'une des figures tutélaires de Barcelone est en péril. Cela fait des lustres qu'il est perché là. Souhaitons-lui de poursuivre cette belle carrière et qu'aucune enseigne de fast-food ne viendra le déloger.

2012-08-16 Dragon Anne-Lise Barça DSCN6262 (Small).JPG

Quant à ce second dragon, je crains le pire. La photo remonte à quelques semaines. Un chaud mois d'août est passé par là. Et la bestiole était en chocolat. Même le pourfendeur à l'armure la plus ramollie risque d'avoir, à cette heure, eu raison de la malheureuse et inoffensive créature.

2012-08-16 Dragon Anne-Lise Barça DSCN6411 (Small).JPG

Merci, Les Piles, pour ces clichés gentiment rapportés
d'expédition en terre catalane !
Il fallait oser, dans ce fief sous patronage
de sant Jordi, alias saint Georges.

08 juillet 2012

Weltanschauung, le retour

Guten Abend!

Peut-être vous souvenez-vous d'un récent billet, dans lequel je vous disais avoir appris le mot Weltanschauung. Enfin, c'est un grand mot. Non, pas Weltanschauung (enfin, si), mais le fait que je l'aie appris, étant donné la complexité de ce qu'il recouvre.

Dans ce billet, je tendais une perche à l'âme culte et dévouée qui sacrifierait quelques soirées pour nous pondre un docte article sur la question. Perche saisie. L'auteuse ne pouvait être autre que
Les Piles intermédiaires
, qu'il est superflu de vous présenter. Elle vient de publier chez elle le fruit de ses cogitations et de son labeur, en m'autorisant avec grande gentillesse à le copier ici ! Vous assistez donc à une première : la mise en ligne simultanée d'un même article sur deux blogs.

J'aime bien déléguer. Je pense que je vais déléguer davantage, dorénavant. Ça doit être ça, se sentir une âme de chef. On dit :
« Tiens, qui c'est qui veut faire ci, ou ça ? » Et ça marche. On n'a plus qu'à se les rouler, tout en s'attribuant une grande part de la gloire.

Bon, je ne vous fais pas mariner davantage. Voici le billet des Piles, intitulé sur son blog :

Crasse décrassage de la Weltanschauung 

Tout ça, c'est la faute d'une émission de France Culture diffusée en 2004. Enfin, c'est surtout la faute de L'autre jour, en fait. Allez lire chez elle de quoi il s'agit et vous comprendrez pourquoi aujourd'hui, on parle de Weltanschauung (à vos souhaits). Ce billet est publié simultanément chez L'autre jour : merci pour la perche tendue et la balle bondissante, L'autre jour !

Ah, ce n'est qu'un mot, mais quel mot, mes amis.

Si l’on consulte le dictionnaire du CNRTL, on y trouve une définition succincte mais qui n’en est pas moins très, très, vaste, si l’on y réfléchit : « Vue métaphysique du monde, conception globale de la vie, de la condition de l'homme dans le monde. » Passé un léger vertige, on voit qu’on a du boulot.

Le terme est kantien, à l'origine, il sort de la Critique de la faculté de juger (nouveau titre, semble-t-il de la Critique du jugement – si on n’est déjà pas d’accord sur le titre, ça commence mal, si je puis me permettre de donner mon humble avis). Alors autant vous dire que la Weltanschauung, on ne l'aborde pas comme ça au pied levé. On potasse, on révise ses classiques, on bosse (un peu).

Et pour ça, on a bien envie d’aller piocher des choses chez des gens qui ont réfléchi à la question. Parce qu’à vrai dire, la traductrice professionnelle que je suis ne se demande pas chaque matin en allumant son ordinateur : « Tiens, où est passée ma Weltanschauung ? Ah, la voilà, à côté du Robert. Est-ce qu’elle va influer sur mon travail, aujourd’hui ? »

Non, les choses ne se passent pas exactement comme ça.

Donc il y a des auteurs qui ont écrit sur la Weltanschauung en lien avec la traduction. Comme ils ont commencé il y a longtemps, je me permets de faire remarquer que leurs réflexions sur le sujet sont aussi le produit de leur propre Weltanschauung. À parcourir un peu rapidement ce que j’avais en stock sur le sujet, j’ai été frappée par exemple par la place de la notion de « nation » et de « peuple » dans les écrits sur la question de Friedrich Schleiermacher et de Wilhelm von Humboldt, qui ont tous deux œuvré à la charnière entre XVIIIe et XIXe siècles, une époque où ces deux concepts étaient sans doute nettement plus prégnants qu’aujourd’hui dans la vie philosophique et intellectuelle allemande, et portaient surtout des significations différentes de celles qu’on leur donne aujourd’hui. Mais revenons à notre Weltanschauung.

Parmi ces gens, on en trouve qui défendent bec et ongles que oui, la Weltanschauung est une réalité en traduction, que le passage d’une langue à une autre équivaut en quelque sorte à basculer d’un système géométrique à un autre : le monde, l’environnement dont on parle demeure le même, mais son appréhension via la langue est tellement différente qu’on ne s’y oriente plus de la même façon, que le cadre de référence s’en trouve bouleversé.

Et d’autres gens qui expliquent que non, en vrai, la traduction elle-même est la preuve qu’il existe des grands universels communs allant au-delà des particularités ethnolinguistiques et que l’existence de catégories à l’intérieur d’une langue donnée n’empêche nullement un locuteur de cette langue d’accéder à une autre façon d’aborder le réel par le truchement d’une autre langue.

Hem, comme j’ai bien conscience de tenter là de résumer grossièrement en deux phrases des ouvrages entiers que je n’ai pas lus, je vais pudiquement dire que je fais référence dans le premier cas à Benjamin Lee Whorf tel qu’il est synthétisé dans Topics in Translation Studies (Yo-In Song, 1984, chapitre « Weltanschauung and Translation ») et dans le second cas à ce que je retiens des nombreux auteurs (dont Émile Benvéniste et Charles Serrus) analysés par Georges Mounin dans les chapitres « Les obstacles linguistiques » et « ‘Visions du monde’ et traduction » de son ouvrage Les problèmes théoriques de la traduction (1963).

Alors, qui faut-il croire ? Très honnêtement, je n’ai pas de réponse théorique à apporter à cette question.

Par contre, en rouvrant mon Mounin (non, je n’ai pas étripé un linguiste, je parle du bouquin) qui dormait sur une étagère depuis un bail, je suis tombée sur un exemple pratique qui m’en a rappelé un autre.

L’exemple pratique n° 1, c’est celui de Eugene Nida, traducteur américain de la Bible. Mounin nous dit :

Nida, dans le domaine de la culture idéologique, cite enfin – pour ce qui est de l’idéologie religieuse seulement – maints exemples qui rendent tangibles, dans ce domaine aussi, la séparation profonde entre les mondes de l’expérience idéologique de deux civilisations différentes. La traduction des termes sainteté, possession par l’esprit prophétique, Esprit-Saint, en aztèque ou en mazatèque est un problème linguistiquement insoluble hic et nunc, dit Nida. Si, d’autre part, on admet avec Whorf et Korzybzki que notre langage fabrique notre pensée pour nous, qu’il y a, par conséquent, - suivant rigoureusement la structure de chaque langue, - des structures de pensée différentes, il est évident que les produits de ces structures de pensée sont, eux aussi, différents, c'est-à-dire que chaque langue a sa conception du monde, son idéologie sous-jacentes : la ‘culture idéologique’ ramène aux exemples déjà connus des langues considérées comme vision du monde, irréductibles en totalité les unes aux autres. »

L’exemple n° 2 que cela m’a évoqué est un peu plus flou dans la mémoire de votre blogueuse dévouée. En février 2008, lors de la deuxième « Journée de la traductologie de plein champ » organisée par l’université Paris 7, l'universitaire Elsa Pic donnait un exposé très intéressant intitulé « Normes culturelles et manières de traduire : le cas des droits de l’Homme ». J’avoue que quatre ans plus tard, mes souvenirs sont un peu lointains, mais je me souviens de développements très pertinents sur la traduction problématique (à un double titre, politico-diplomatique et philosophique) (zut, ça fait trois) de la Déclaration universelle des droits de l’Homme dans certaines langues, et la présentation de son papier (publié depuis dans La tribune internationale des langues vivantes n° 45) résume bien la problématique qu’elle traitait :

Certains auteurs associent étroitement les droits de l'homme à la langue française, encourageant la notion déjà largement répandue selon laquelle les droits de l'homme seraient un produit culturel fondamentalement européen. Mais les droits de l'homme ont vocation à s'imposer comme norme juridico-culturelle universelle. Pour atteindre cet objectif, les promoteurs des droits de l'homme ont opté pour un langage extrêmement flou, dans une stratégie d'évitement de toute norme culturelle. Cependant, la traduction de ces textes flous (depuis l'anglais ou le français vers d'autres langues) a l'effet à première vue paradoxal de favoriser un retour massif des normes culturelles dans les textes traduits. Cette réapparition des normes culturelles propres aux cultures cibles au moment de la traduction est cependant de deux ordres : consciente et stratégique dans les langues telles que l'arabe, elle est censée permettre l'acclimatation et l'acceptation des droits de l'homme, alors qu'involontaire et subie dans les langues telles que le danois ou l'italien, elle peut être plus problématique. Dans tous les cas, l'important est d'évaluer si ces traductions bénéficient de ce fait à la promotion des droits de l'homme.

Il me semble que dans ces domaines en particulier, le religieux, le philosophico-juridique (au sens où certains concepts du droit sont le produit d’une longue évolution philosophique) et l’idéologique au sens large, on met le doigt sur des situations où oui, la Weltanschauung propre à une langue (et partant, propre à la culture qui lui est liée) joue un rôle et conditionne fortement l’exercice de traduction. Où le traducteur risque de se retrouver face à un hiatus plus large que d’habitude entre son texte original et son texte cible. Où il aura beau expliquer, expliciter, même avec talent, tout ce que charrie le terme d’origine eu égard à la Weltanschauung de la langue de départ, il restera probablement un petit sentiment d’insatisfaction et de manque dans la langue d’arrivée. Où peut-être même, il ne saisira pas lui-même, malgré sa connaissance pointue de la langue qu’il traduit, toute l’ampleur ni tout l’enjeu du terme, de la notion, qu’il doit traduire.

Par une mise en abyme étourdissante comme je les aime, on peut dire du reste que la traduction du mot Weltanschauung pose elle-même un problème de Weltanschauung. Ha ha ! Car si le terme fait partie du langage courant en allemand, il a une longue histoire philosophique typiquement allemande, résumée comme suit dans le Vocabulaire européen des philosophies (Seuil/Le Robert, sous la direction de Barbara Cassin) (ouvrage au sujet duquel j’ai aussi un billet sur le feu, tiens, d’ailleurs) (et il faudrait que je pense à le terminer) :

Dans un cours de 1936, Heidegger note combien ce terme s’est affadi et déraciné pour devenir un slogan d’une grande platitude, tout en étant issu des hauteurs de la métaphysique et de l’idéalisme allemand : « C’est dorénavant la vision du monde de l’éleveur de cochons dont on fait le type déterminant de la vision du monde en général. » Une apostille précise à la même page, à propos de Weltanschauung : « Das Wort ist nicht übersetzbar [Ce terme n’est pas traduisible]. » C’est surtout à partir de 1936 que Heidegger se livrera à une critique féroce de la confusion entretenue, dans la phraséologie du Troisième Reich, entre philosophie et Weltanschauung, ramenant celle-là à ce que celle-ci est devenue : une idéologie. La courbe sémantique de Weltanschauung va donc de l’intuition du monde (de l’univers) à l’idéologie.

Voili voilou. Va-t-en traduire la Weltanschauung sans tenir compte de la Weltanschauung, maintenant. J’aimerais bien t’y voir, tiens.

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Merci, Les Piles !!

Ça relève le niveau de l'Autre Jour, hein, tout d'un coup ?

Bon, où ai-je mis ma Weltanschauung, moi ?
Ah oui, partout autour du Robert. Et dedans.

Et où sont donc passés mes cochons ?


27 juin 2012

Conseils à un jeune traducteur inexpérimenté (3) - Ne pas truffer son site Web de fôtes

Cher Jeune Collègue Inexpérimenté,

Tu veux te fabriquer un site Web pour faire connaître tes compétences ? Bravo, excellente idée ! Et tes compétences ne s'arrêtent pas à la traduction ? Encore mieux !

Mais attention aux incohérences. Par exemple :

- soit tu affirmes qu'en plus de prestations de traduction et d'interprétation, tu offres des services de relecture 

- soit tu truffes ton site d'erreurs de typo, d'orthographe ou de grammaire, bien qu'il soit rédigé dans ta langue maternelle, dite « langue cible ».

Les deux sont incompatibles. Il te faut choisir.

Surtout si tu prétends par ailleurs t'abstenir d'exercer dans des domaines qui ne sont pas de ta compétence.

Abstiens-toi aussi de publier sans en citer clairement la source les magnifiques brochures de la SFT ou d'autres organisations professionnelles. Comme elles ne contiennent pas d'erreurs de français, elles risqueraient de détonner, par rapport au reste de ton site.

 

 

Ah, et puis, quand tu accroches ton vélo à l'aide d'un antivol, dans la rue, ne le fixe pas à un potelet d'un mètre de hauteur... Surtout si c'est un beau vélo et qu'il doit passer la nuit dehors.

 

Copie de Photo vélo Berlin.jpg

(Ceci est un contre-exemple. Avec ce qui dégringolait, il n'y avait pas besoin d'antivol.)

 

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1. Les conseils au Jeune Traducteur Inexpérimenté se fondent tous sur des faits soit vécus par moi-même (le coup du chewing-gum sur l'ordi portable), soit observés – j'exagère à peine – chez des traducteurs qui n'ont hélas pas plus que moi l'excuse de l'inexpérience.

2. Ce blog est lui-même truffé d'erreurs de typo, etc. Mais il ne prétend pas assurer de travaux de relecture ou de correction, lui, car c'est un métier, et ce n'est pas le sien.

Et puis, c'est un peu la faute de ses Lecteurs, qui ne les lui signalent pas assez souvent, na. Alors qu'elles sont semées là délibérément, pour mettre leur œil de lynx à l'épreuve. Si si. Considérant que la moindre coquille même pas visible – espace en trop, par exemple – ne saurait pourtant échapper à ces sujets atteint d'inquiétants Tics, manies et autres névroses.