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20 octobre 2012

Lettre à un resté

Cher Téléspectateur du service public, cher alter ego audiovisuel,

J’ai le regret de te dire que tu es un resté.

En choisissant de regarder un documentaire plutôt qu’une autre émission, tu espères t’instruire et te divertir à la fois. Tu penses que les chaînes qui portent le nom de ton pays, suivi d’un numéro, sont immanquablement fidèles à une réputation d’excellence. Friand de nature, de techniques ou d’histoire, tu crois que tu vas pouvoir approfondir tes connaissances dans ces domaines et dans d'autres, t’étonner, t’émerveiller face à des images soutenues par un commentaire de haut niveau, qui fera honneur à ta belle langue.

Ben non. Enfin, pas toujours. Pourquoi ? Parce que certains des intermédiaires situés entre les auteurs de documentaires et toi – je veux dire au sein des chaînes de service public ou chez leurs prestataires –  ont décrété que tu n’avais que des aptitudes et un vocabulaire limités.

Par exemple, supposons que le documentaire que tu as choisi de regarder ce soir vienne de l’étranger. Il a été traduit. Enfin… « adapté ». Le malheureux individu chargé d'adapter le commentaire en français s’est vu intimer l’ordre de niveler toute originalité dans le style de l’auteur. En outre, à coups d’instructions aussi péremptoires que nébuleuses (et contradictoires, car les donneurs d'ordre n'ont manifestement pas vu le documentaire), on lui a fait comprendre que tu n’étais pas censé avoir plus de cent mots à ta disposition. Par exemple, il sait d’avance que s’il écrit « demeurer », l’un des intermédiaires évoqués plus haut va aussi sec le remplacer par « rester ». (À croire que le bougre de traducteur le fait exprès, juste pour voir si ses prévisions se confirment.) Car « demeurer », c’est d’un niveau inaccessible pour toi. Et puis, trois syllabes, c’est trop long pour ta comprenette.

Tout est à l’avenant. Les notions scientifiques ou techniques contenues dans le film sont nivelées elles aussi par les brillants esprits qui se chargent de réviser la copie du bougre. Au point que le malheureux traducteur, en regardant le documentaire à la télé, comme toi, reconnaîtra parfois à peine le texte qu’il signe au générique. Et que l’auteur du documentaire, s’il voyait cela lui aussi et comprenait le français, ne reconnaîtrait pas son bébé. Qu'y pourrait-il ? Sans doute pas grand-chose, depuis son pays.

 

Dans le numéro 40 d’Astérisque, La Lettre de la Scam, Geneviève Guicheney, journaliste, signait un article intitulé J’aimerais tant que le service public… Médiatrice du Groupe France Télévisions de 1998 à 2004, elle y évoquait ce rôle et terminait par ceci : « La plainte majuscule des téléspectateurs exprimée à longueur de courriers se résume à une phrase : “Vous nous prenez pour des imbéciles”. En cela au moins la télévision n’échappe pas à son époque. »

 

Merci à elle et à la toujours précieuse Scam (Société civile des auteurs multimédia). Si elles et les téléspectateurs pouvaient être entendus !

 

« Le documentaire n'est pas un sujet, mais une œuvre
qui marie une connaissance ou une expérience à une vision. »

Extrait du Manifeste pour le Documentaire, publié en 2012
par France Télévisions et cité par Jean-Xavier de Lestrade,
président de la Scam, dans l'éditorial du n° 42 d'Astérisque.